Depuis Delicatessen, les longs métrages de Jeunet nous enchantent, y compris lorsque comme dans Un long dimanche de fiançailles (mon préféré), ils promènent leur poésie dans un monde bien réel, même s'il est le reflet d'une autre époque. L'une des raisons du phénoménal succès d'Amélie Poulain, c'était cette façon très personnelle de recréer le réel en y ajoutant des tonnes de détails tirés de l'affectif et de l'inconscient collectif: les vieilles boîtes à gâteaux, les vieux sous-pulls, les petits détails qui nous reviennent de l'enfance, etc. Alors oui, Audrey Tautou-Amélie Poulain vivait dans un Montmartre qui n'existe pas, et Dany Boon-Bazil, dans Micmacs, n'est pas plus vraisemblable. Mais le ton, la tendresse, et l’image de ce petit film sans prétention, sont une fois de plus déclencheurs d’une nostalgie, d’une douce rêverie qui fait du bien le temps qu’elle dure.
Basile (Dany Boon), orphelin de père (Démineur, il a été tué en pleine action en 1979) et dont la mère a craqué suite au décès du père, a gardé toute sa vie le désir de vengeance contre la compagnie qui a fabriqué la mine qui a tué son père. Un beau soir, alors qu’il se repasse Le Grand sommeil, d’Howard Hawks, dans le local du vidéoclub ou il travaille (Il en connaît les dialogues par cœur, une petite manie personnelle consiste d’ailleurs à les réciter en même temps), il reçoit une balle perdue, qui se loge juste ou il faut dans sa tête pour ne pas faire de dégât. Il devient donc un homme en sursis permanent, et se fait virer par son patron indélicat. Une jeune femme va pourtant déclencher une révolution chez Basile: elle retrouve la petite sœur de la balle qu’il a en tête. En voulant aller demander des comptes au fabricant, il a la surprise de constater que la manufacture de balles en question est sise juste en face du siège social de l’usine de mine anti-personnelles dont un exemplaire a tué son père. Son désir de vengeance va donc trouver, grâce à l’aide d’une bande de SDF délirants (Dominique Pinon, bien sur, Jean-Pierre Marielle, Yolande Moreau…), un moyen d’expression intéressant, et souvent très drôle.
Delicatessen mélangé à Amélie Poulain, voilà comment on peut interpréter ce film, sans doute mineur, mais qui renvoie en effet à la poésie faubourienne du premier long métrage, en ajoutant le ton décalé et inventif, de tous les instants, des images de Jeunet: il existe peu de metteurs en scène qui savent, tout en s’entourant d ‘acteurs aussi typés, garder autant de contrôle sur leurs images. Le goût féroce pour le bricolage, jusque dans les décors, renvoie aussi au passé d’animateur de Jeunet, qui se manifeste de façon visuelle, mais aussi par le rythme toujours particulier de son montage. Bref, on n’est pas devant du cinéma vérité, mais devant un univers. Bien sur, certains (Télérama ? Les Inrockuptibles ?) feront la fine bouche devant le coté Club des cinq contre les marchands d’armes, mais ce scénario improbable, joué en plus avec conviction, nous permet un voyage à l’extérieur de nous-même, dans lequel nous sommes très à l’aise. Ca fait du bien! Et si le film nous montre un groupe de gens soudés non seulement par leur amitié, mais aussi par leur sens de la récupération (Le diminutif "récup" finit par être un clin d'oeil récurrent dans le film), ça se voit également dans le film lui-même... Et Jean-Pierre Jeunet en a fait une métaphore constante de son cinéma...
Ajoutons qu'il y a dans Micmacs un clin d’œil très appuyé, très inattendu aussi, non seulement à Hawks (Il est très pratique de faire distribuer ses films par Warner, si ça permet d’avoir accès au catalogue des films classiques !!), dont l'affection légendaire pour les "professionnels", chacun dans sa partie, se retrouve avantageusement dans la petite troupe de "spécialistes" qui entourent Bazil. Bien sûr, Pierre Etaix, présent dans une animation, renvoie quant à lui au maître Tati dont il a été l'assistant, et le tournage s'est déroulé dans des lieux qui renvoient immanquablement à Marcel Carné...
Et on retrouve un souvenir de Delicatessen, avec Dominique Pinon qui fait une apparition inattendue déguisé en clown, jouant le thème du premier film en duo Violoncelle-scie musicale, sans que cela ait la moindre incidence sur tous ces micmacs. De Jeunet, un renvoi tendre, en forme d’aveu d’amour pour ses personnages, ses moments poétiques, et ses propres films. Et il a bien raison.