Arrêtons un peu de recourir aux clichés en usage, et voyons les choses en face: ce film iconique, ultra-célèbre, et considéré à lui tout seul comme la boule à paillettes ultime, n'est pas limité à sa musique, ou au fait qu'une portion non négligeable de la pellicule y montre des gens qui dansent le disco avec il est vrai une certaine adresse... Ce n'est en rien une comédie musicale, voire un petit film jetable, mais bien un document sociologique sur une communauté rendue autrement célèbre par des histoires de mafiosi, généralement plus malhonnêtes que ne le sont les héros ou anti-héros de ce film âpre et qui touche souvent juste. Comme l'a souvent dit Martin Scorsese, réussir pour un jeune Italo-Américain qui grandit à Little Italy, c'est souvent faire un choix entre le gangstérisme ou la prêtrise... Heureusement pour lui, il avait trouvé le cinéma comme vocation alternative! C'est une histoire un peu similaire qui nous est racontée ici...
Tony Manero (John Travolta) a dix-neuf ans; Italo-Américain de troisième génération, il est confronté au chômage de son père, à l'incertitude de l'avenir, et à une certaine crise communautaire: comme le dit son père, avant qu'il ne soit sans emploi, son épouse n'aurait sans doute jamais levé la voix contre lui, et n'aurait pas non plus, honte suprême, évoqué la perspective de chercher elle-même un travail pour subvenir aux besoins de la famille. Les Manero ont trois enfants: le plus grand, Frank, est prêtre catholique, mais ne passe pas assez de temps avec ses parents; la plus petite est encore à l'école. Quant à Tony, il travaille depuis quelques mois dans un magasin de bricolage sur le quartier, et son patron l'a vraiment à la bonne. Mais ce à quoi il consacre essentiellement son argent le week-end, c'est la danse: Tony est un danseur émérite de disco: on est au milieu des années 70, et les jeunes portent talons hauts, pattes d'éléphant en lycra, gomina et cols "pelle à tarte". Un concours se profile à l'horizon, et Annette (Donna Pescow), une jeune femme amoureuse de Tony avec laquelle il danse parfois, lui propose de s'associer et de rafler le premier prix. Il accepte, mais change très vite de partenaire, car il est très perfectionniste, et a vu Stephanie Mangano (Karen Lee Gorney) danser: elle aussi en veut, et pour Tony, c'est la partenaire idéale.
Les jeunes Italo-Américains, qui vivent dans un Manhattan saisis sur le vif, sont la principale communauté vue dans le film, mais il y est question aussi des rivalités parfois violentes avec les hispaniques, et les noirs. D'ailleurs, il y a même une comptine bien salace à ce propos. Les amis de Tony, à cet égard, tentent de maintenir une espèce de contrôle culturel sur la ville, qui passe parfois par la violence. Mais une expédition punitive tourne à la mauvaise farce pour Tony lorsqu'il apparaît que les "Barracudas" hispaniques, que la bande vient de punir pour un méfait, n'étaient en fait pour rien dans l'histoire. C'est là qu'apparaît un trait de caractère essentiel du jeune homme: il a une morale. Bien sur, elle ne l'empêche pas de considérer les femmes comme des objets de conquête, et de traiter la jeune Annette qui n'a d'yeux que pour lui, avec un mépris qui va jusqu'à la goujaterie. Mais le sens de la justice qui l'anime l'empêche de tirer parti de façon égoïste de certaines opportunités, comme lorsqu'il met un point d'honneur à reconnaître avoir moins bien dansé que des Porto-Ricains, par exemple. Et surtout, le film raconte un passage fulgurant à l'âge adulte, lorsque son frère, en pleine crise de la vocation, quitte l'église, et que de son côté Tony s'investit de façon mature dans un nouveau projet.
Le film est plein de vie, et chaque séquence de danse lui confère un atout supplémentaire: certaines scènes sont vues d'un point de vue clairement sociologique (Aucun de ses héros n'est vraiment sophistiqué), et la lutte à l'amiable pour un trophée de danse devient une opportunité de s'affirmer, tant pour Tony ou Stephanie (Qui en dépit de ses grands airs est motivée par une volonté de s'élever qui sera vite contagieuse), que pour l'ensemble des protagonistes. Il y a bien quelques clichés, quelques aspects non aboutis, mais le film vaut le coup d'oeil pour nous montrer la vie à Manhattan et dans d'autres quartiers en 1977. Avec des boules à paillettes et des platform shoes, certes.