Un homme sur le point de se marier détruit par mégarde le chapeau de paille d'une dame. Celle-ci avait en effet posé son couvre-chef sur un buisson le temps d'aller se faire lutiner dans les fourrés par un beau militaire, et notre héros (C'est Albert Préjean) n'a pu empêcher son cheval de croquer le rebord... C'est le point de départ pour le futur marié, Jules Fadinard, d'une rude journée! Nous sommes en 1895, et le beau militaire dont il était question est du genre plutôt ombrageux, il lui semble important de sauver l'honneur de sa belle, qui est bien sûr mariée à un autre, et cet autre aura sans doute à coeur de demander des explications quant à l'état du chapeau. Fadinard va donc devoir, d'une part, se marier, et de l'autre récupérer un chapeau similaire afin d'éteindre l'incendie, et de calmer le lieutenant Tavernier, qui menace de tout casser chez lui... Littéralement. La noce se déroule donc pour Fadinard dans une ambiance particulière, le temps presse, et le moindre détail peut faire basculer la situation...
Après La Proie du Vent, Clair a trouvé la perle rare: une adaptation de la pièce d'Eugène labiche, mais au lieu de la situer en 1851, il a l'idée de la transposer en 1895, créant ainsi une possibilité d'hommage au cinéma. Et ce film, de fait regorge d'idées visuelles fantastiques! Le metteur en scène ne se contente pas de filmer la pièce, et suit ses personnages dans tous leurs périples, tout en démultipliant l'espace filmique par le recours au point de vue de son héros. Nous avons vu, nous, l'incident initial, situé en pleine nature. Mais lorsque Fadinard le raconte, il devient un film-farce de 1905, tourné en décor peint avec les acteurs qui gesticulent comme dans les films Pathé de Ferdinand Zecca... Lors du bal de mariage, Fadinard sourit à qui veut bien le regarder, mais il passe son temps à imaginer les dégâts commis par le lieutenant dans son appartement. et Clair s'amuse avec la cadence de défilement des images, les meubles sortant au ralenti, jetés par un lieutenant Tavernier qui lui gesticule à toute vitesse!
Et durant tout ce temps, chaque acteur a un vrai rôle, certains étant prisonniers d'un petit détail, un problème de cravate, des chaussures trop petites ou trop grandes... tous vont porter ce problème jusqu'au bout, dans une narration qui passe sans effort du premier plan (Fadinard et les risques qu'il prend pour sauver la réputation et ses meubles!) au second (Les invités qui s'imbibent, le beau-père et ses chaussures trop petites, l'invité qui a perdu son gant, le mari de la femme adultère, joué avec génie par Jim Gérald).
La réussite de ce film, l'un des meilleurs jamais réalisés à la firme Albatros, et l'un des deux meilleurs films de René Clair qui à mon sens aura tout dit à l'arrivée du parlant 3 ans après, me fait immanquablement penser à l'univers d'Hal Roach, et en particulier aux courts métrages interprétés par Charley Chase, auquel d'ailleurs Préjean fait physiquement penser: il a aussi le même souci de respectabilité, pris comme argent comptant, et y est aux prises avec les aléas d'une situation qui n'en finit pas d'être embarrassante. On n'aurait pas cru que le théâtre de boulevard puisse donner naissance à une telle merveille, éminemment cinématographique.


