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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 07:20

Ce qu'on retient essentiellement de la sortie de ce très beau film dans nos contrées, c'est l'habituel malentendu, la légendaire confusion entre Eastwood et Harry Callahan, en fait, qui rend a priori suspect de droitisme chaque film entrepris par le producteur-cinéaste-et-parfois-acteur Clint. Et comme le sujet évoque ici la guerre en Irak, celle d'après le 11 septembre, le film est d'avance jugé... Alors je ne vais pas attendre la fin de cette chronique pour le rappeler: American Sniper est un film Américain d'abord, qui ne juge ni ne glorifie le héros Américain qui nous est présenté, d'ailleurs dans un récit adapté de son autobiographie. Le film n'est pas plus une auto-glorification de l'Amérique en guerre que ne l'était Born in the USA de Bruce Springtseen, qui a si mal été interprété dans ce pays d'ailleurs, où on ne va généralement pas voir plus loin que la présence d'un acronyme ou d'un adjectif suspect dans un titre de chanson ou de film...

Chris Kyle, l'homme dont le film conte l'histoire, est un Texan, un homme rompu à l'usage quotidien des armes, élevé par son père dans la certitude que l'arme n'est pas autre chose qu'un moyen de protection; cet homme a pris état de la menace terroriste avant le 11 septembre 2001, et a pris la décision de s'engager, au-delà de ses trente ans, afin de donner un sens à sa vie. Qu'on se reconnaisse ou non dans ses choix politiques, qui sont totalement assumés mais contés avec tact par Eastwood, le personnage n'a rien d'un fanatique, et ce n'est bien sur pas, non plus, un intellectuel. Le 11 septembre va être pour Kyle un traumatisme qui va le cristalliser dans le sentiment d'avoir fait le bon choix, et il va devenir un sniper infaillible... Chris Kyle, d'abord sans le moindre doute, devient "The legend", un sniper aux 160 morts confirmées (Ce n'est pas lui qui compte), dont le baptême du feu est la mort d'un enfant, auquel sa mère a confié une grenade à tirer sur les soldats Américains. Après mille jours de combat dans la région de Fallujah, Kyle prend la décision sage, mais ô combien tardive, de rentrer au pays...

Bradley Cooper interprète le sniper légendaire, qui en rappelle un autre, d'ailleurs interprété à l'écran par un autre Cooper: le fameux Sergent York de Howard Hawks, dans lequel Gary Cooper nous montrait un redneck touché par la grâce, qui devenait en dépit de son objection de conscience le sniper le plus talentueux de l'armée Américaine au cours de la première guerre mondiale. Mais si York faisait effectivement un examen de conscience en bonne et due forme avant de partir au combat, pas un instant Kyle ne semble donner d'autre sens à son engagement que sa certitude inébranlable -au début du moins; c'est l'un des gros reproches faits au film, et il est absurde: le film conte la naissance d'un malaise, la lente montée du doute, et surtout questionne (C'est le sens de l'engagement de Bradley Cooper lui-même, qui a été essentiel dans la conception du film) la tendance répétée des pouvoirs Américains à oublier d'accompagner les vétérans de retour des conflits. En montrant sans fioritures, ni exagération, le quotidien d'un sniper en Irak, le film donne à voir une situation humaine faite de choix, tous cornéliens, qui rappellent la vie d'un autre héros d'Eastwood, le tueur au passé légendaire ("killer of women and children") du film Unforgiven. Mais devant ce film qui ne nous épargne rien, pas même les exactions parfois limites des soldats, laissés à eux-mêmes, et forcés de se défendre les uns les autres, on se demande comment tant de spectateurs Américains ont pu se tromper à ce point, et voir dans le film une incitation à partir. La guerre est ici représentée d'une façon hyper-réaliste, âpre, violente, et sans aucun confort... La menace est partout, mais elle est aussi intérieure: la folie guette chacun des soldats engagés, autant que la mort, et les "victimes" du sniper, hommes, femmes, enfants, ne sont jamais ici représentés au-delà de leur humanité. On a reproché à ce film qui raconte du point de vue de soldats Américains la guerre en Irak, de représenter le danger incarné par les Irakiens eux-mêmes: la critique se mord parfois la queue...

Une fois de plus, Eastwood nous conte avec force et humanité un parcours pas exemplaire, mais réel; comme J.Edgar Hoover, ou le tueur William Munny, Kyle est une émanation de l'Amérique, un homme qui incarne les passions, les erreurs et les certitudes d'un pays dont les valeurs sont de celles qui devraient mener le monde, qui sait parfaitement commencer une guerre (Qu'elle soit justifiée ou non, ce n'est pas ici le propos puisque cette question n'était pas posée en aucune façon par Kyle lui-même...), mais qui les plus grandes difficultés à la finir, et à gérer le retour des soldats au pays. Il nous montre comment le doute naît, parfois trop tard, et comment il devient difficile de vivre avec un tel passé. Chris Kyle, du moins celui qu'on nous montre ici, est un homme qui n'a pas su nommer son doute, qui ne l'a pas vu venir, et qui a finalement réussi à s'en sortir... Jusqu'à un certain point.

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Published by François Massarelli - dans Clint Eastwood