Sorti sous le titre Sexes enchaînés en France, on connait ce film sous le titre alternatif de L'enlisement. Ce dernier traduit bien l'impression d'un couple qui s'enfonce dans la vase d'une loi inadaptée, puisque le film a un message: il entend dénoncer la situation dans laquelle les prisonnier de longue durée et leurs conjoints se trouvent, et notamment la frustration affective et sexuelle des uns et des autres. On sait la grande tolérance des écrans Allemands et Scandinaves à l'époque du muet en matière de sexualité, mais on ne s'attendait pas à une telle franchise dans la peinture du parcours d'un prisonnier qui est tellement en manque d'affection qu'il va développer une relation homosexuelle dans sa cellule, et du reste il faut croire que la censure non plus, puisque les Allemands n'ont semble-t-il jamais vu la version intégrale du film... Qui a survécu grâce à une copie d'exploitation Française (Le film est sorti en France en 1932, probablement dans les circuits de film d'art).
Le film conte les aventures d'un couple: Franz Sommer (Dieterle), ingénieur à la recherche d'une situation stable, désespère de voir son épouse Helene (Mary Johnson) commencer à travailler dans un restaurant; à servir des clients qui ne sont pas toujours respectueux avec elle. Lors d'une altercation, il blesse grièvement un homme, qui succombera vite à ses blessures. Sommer est donc condamné à trois ans de prison... Très vite, l'absence de l'autre va jouer des tours aussi bien à Franz qu'à Helene. Cette dernière va brièvement trouver refuge dans les bras de son bienfaiteur, l'industriel Steinau (Gunnar Tolnaes) qui lui est venu en aide au moment de l'incarcération de Franz, et ce dernier cède aux avances d'un prisonnier, Alfred (Heinz Heinrich Von Twardowski). La culpabilité qui s'ensuivra pour l'un comme pour l'autre va faire des ravages...
Avec son intrigue classique, ses audaces et sa mise en scène extraordinairement riche, le film a la réputation d'être le meilleur des muets de Dieterle. Celui-ci se joue de l'aspect "message" en confiant à certains personnages (Steinau, Helene) le soin de militer pour une plus grande souplesse dans l'application de la loi, et ne parasite jamais l'intrigue profondément humaine, ce qui donne encore plus de poids aux deux audaces fondamentales du film: d'une part, la façon dont on y aborde la sexualité, représentée comme un élément vitale de la complicité dans le couple ou dans l'équilibre d'un homme ou d'une femme; d'autre part, l'inévitable recherche d'une redéfinition personnelle de sa propre sexualité par Franz débouche sur un sentiment de culpabilité non parce qu'il a trahi la société en s'adonnant à des "caresses contre nature", le fameux euphémisme passe-partout, mais tout simplement parce qu'il a trahi son épouse. L'aventure avec Alfred est ici vécue comme un adultère pur et simple, et n'aurait rien changé si Alfred avait été une femme. Et justement, Twardowski joue ce dernier personnage avec une grande pudeur, et sans en exagérer le comportement, une gageure en cette époque! Paradoxalement, ce film gonflé est l'un des derniers films Allemands d'un metteur en scène surdoué, qui n'allait pas tarder à devenir l'un des magiciens des studios Warner, aux côté de Wellman et Curtiz. Comme quoi Max Reinhardt, Paul Leni et F.W. Murnau, avec lesquels il avait collaboré, pouvaient mener à tout.