C'est curieux, comme un film à la réputation peu engageante est parfois plus qu'une excellente surprise. Ce Gaucho est en effet considéré avec Don Q. son of Zorro de Donald Crisp comme le vilain petit canard dans la filmographie de Fairbanks, pour un certain nombre de raisons: il est trop vieux, ce qui se traduit par une baisse sensible de ses prestations physiques impressionnantes et de ses cascades; et il se répète depuis Robin Hood, ce qui est sans doute vrai puisqu'on sait qu'à toutes les époques de sa carrière, Fairbanks s'est reposé sur des formules pour composer ses histoires... Mais il y a une volonté ici, justement, de renouveler le canon en partant dans une nouvelle direction, sur au moins deux points: Fairbanks n'est plus le chevalier blanc incorruptible qui redresse les torts dans un monde binaire, pas plus qu'il n'est cet adolescent attardé qui découvre la beauté de l'amour et s'embarque dans un voyage initiatique (The Thief of Bagdad). Le Doug du Gaucho est passé par la délicieuse ambiguïté d'incarner dans The black pirate un prince mystérieux mais qui se comporte quand même comme un pirate certifié... Et du coup, ce nouveau film présente une nouvelle vision du monde, tout en permettant, une fois n'est pas coutume, à une actrice de jouer un rôle nettement plus conséquent que d'habitude.
En Argentine, une région entière est sous la coupe d'un gouverneur félon, Ruiz, interprété par Gustav Von Seyffertitz. Il règne sans partage et s'en met plein les poches, pendant que la population attend une opportunité de se révolter. Normalement, c'est ici que Douglas Fairbanks devrait intervenir et être le nouveau Robin de Bois de cette histoire, mais il n'en est rien... Parallèlement, une sous-intrigue religieuse se met en place. On apprend l'existence une anecdote, dans laquelle une jeune bergère a eu un accident, mais a été sauvée d'une mort certaine par une apparition de la vierge. Depuis le lieu de l'incident est devenu un lieu saint, gardé par la jeune femme devenue une sainte (Eve Southern) pour la population, et assistée dans sa tâche divine par un prêtre (Nigel de Brulier). Quand enfin Douglas Fairbanks arrive, c'est en hors-la-loi, une authentique mais sympathique canaille, et s'il dispute en effet à Ruiz sa mainmise sur la population, c'est pour pouvoir faire à son tour main basse sur les richesses locales...
A son arrivée, le "Gaucho" est accueilli par une population assez enthousiaste, le personnage, dont la tête est mise à prix, étant quand même un héros du folklore. En particulier, une jeune femme, serveuse dans une taverne, se jette dans ses bras, et va devenir immédiatement sa maîtresse, ce qui va poser problème lorsque le Gaucho va croiser la route de la belle "sainte", qu'il va convoiter à son tour. Le risque d'un combat de tigresses va planer sur le film, mais... La jeune femme du miracle n'est pas de cette eau-là. En revanche, le rôle jouée par Lupe Velez est impressionnant. Elle a une présence bien plus charnelle (C'est Lupe Velez, donc...) que les leading ladies habituelles des films de Fairbanks, et intervient de manière importante dans l'action... Voilà donc ce qui change: cette fois, ce n'est plus un monde binaire, divisé entre une situation de chaos qui nécessite une restauration du bien et/où de l'ordre, mais bien un univers plus complexe, dans lequel le personnage principal n'est pas enclin au bien, à la morale. Il va lui falloir apprendre l'altruisme et la dimension morale, et cela va se faire au gré d'une punition divine, infligée par un mendiant lépreux à l'égard duquel Doug aura fait preuve d'une réelle méchanceté. On le voit donc, l'acteur-producteur-scénariste (Sous le nom d'Elton Thomas, une fois de plus) a semble-t-il fait sa révolution culturelle... Son nouveau film est une fois de plus d'inspiration Chrétienne, certes, mais se départit enfin de cet esprit boy-scout manichéen qui transparaît derrière tant d 'entre eux.
Ce qui n'empêche pas le film de présenter des traits familiers, à travers une équipe toujours aussi soudée, et dirigée une fois de plus derrière le réalisateur (Un transfuge de chez Sennett, auteur notamment de l'excellent The extra Girl avec Mabel Normand) par Fairbanks. Nouveau venu, Tony Gaudio est le chef-opérateur qui fait des merveilles avec un noir et blanc profond, qui tranche bien sur avec le Technicolor du film précédent (Auquel Douglas Fairbanks, sans doute échaudé par le relatif échec commercial du film, na va hélas plus toucher...). Et une vision inattendue vient compléter le cameo discret de madame Fairbanks dans The black pirate, venue une fois de plus surveiller son mari volage sur un plateau où il pouvait côtoyer la pulpeuse miss Velez: Mary Pickford a en un effet un rôle, un vrai, mais non créditée: elle joue la vierge. Mais arrêtons de considérer ce film comme une oeuvre mineure, avec ses 96 minutes superbement structurées, The gaucho, qui sera un nouveau flop relatif, est loin d'être un Fairbanks de trop.