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La frontière entre télévision et cinéma est en train d'exploser... On n'en est plus à cette époque durant laquelle le travail à la télévision était pour un metteur en scène un purgatoire, une voie de garage ou un dernier recours avant la fin; les budgets sont maintenant impressionnants, le succès devient mondial, et la 'sortie' d'une série est orchestrée comme le furent les blockbusters depuis si longtemps. La qualité, enfin, est au rendez vous, et les metteurs en scène s'affichent sans aucun complexe: Barry Sonnenfeld a dirigé le pilote de Pushing Daisies, ainsi qu'un autre épisode; Bryan Singer en assumant la mise en scène de plusieurs épisodes de Dr House, a défini le style visuel de la série de façon durable, et aujourd'hui les réalisateurs se demandent (Terry Gilliam, David Fincher, Jane Campion) si il n'y aurait pas mieux à faire, en terme de créativité et de liberté, à la télévision qu'au cinéma. Certains ont déjà sauté le pas: Campion (Top of the lake) et Fincher (House of cards) ont déjà lancé leurs séries. Soderbergh a fait plus encore: il a réalisé pour Hbo/Cinémax (Après avoir annoncé qu'il arrêtait son métier de cinéaste, incidemment...) une saison entière de The Knick, soit dix épisodes de 50 minutes... C'est peu étonnant en réalité quand on connait la réputation du metteur en scène pour le travail économique, une règle sacro-sainte en télévision: il tourne vite, demande peu de prises à ses acteurs, les enveloppe dans un environnement de travail qu'ils aiment, et en prime est son propre monteur et son propre directeur de la photo...
Mais The Knick saison 1, avec sa thématique liée à un environnement de travail précis, et sa galerie de personnages qui ont tous des enjeux contradictoires, est aussi un grand film Soderbergh, qui ne dépare absolument pas dans la filmographie du monsieur: il concerne une série d'intrigues fictives dans un lieu qui ne l'est pas, le Knickerbocker Hospital de New York, en 1900; s'y croisent le Dr John Thackery (Clive Owen), un chirurgien surdoué qui doit au début de la série succéder à son grand ami le Dr Christiansen, qui s'est suicidé suite à plusieurs échecs d'opérations. Thackery est cocaïnomane pour tenir, mais il va devenir difficile de se procurer à cause de la réquisition par l'armée des stocks de drogue, afin de subvenir aux besoins militaires dans la guerre aux Philippines. L'administratrice de l'hôpital, Cornelia Robertson (Juliet Rylance), est confronté à un dilemme: son mariage imminent risque en effet de la priver de sa participation à la cause de l'hôpital, auquel elle consacre sa vie. Elle tente d'aider le Dr Algernon Edwards (Andre Holland) à s'intégrer; malgré son talent indéniable on ne veut pas de lui, car il est noir, et New York en 1900 et loin d'être un modèle d'intégration. Le Dr Gallinger (Eric Johnson), en particulier, est très remonté contre celui qu'il ressent comme une menace, mais va avoir fort à faire à la maison, avec le décès de sa fille unique, et la crise de folie dans laquelle la perte va précipiter son épouse Eleanor (Maya Kazan). D'autres ennuis, des peines de coeur, des tromperies, des adultères et des stratégies diverses se mettent en branle dans une oeuvre dense et filmée au plus près de l'humain,dans un environnement qui ressemble bien à une vision de New York au tournant du siècle, rythmée par les petits arrangements avec la loi, la présence de la mafia, et la pauvreté du quartier dans lequel l'hôpital est situé, au grand dam d'ailleurs de bien des membres de son conseil d'administration...
Sans aucun compromis, Soderbergh capte donc une fois de plus les allées et venues des protagonistes de son film, en installant avec douceur les intrigues. Les manipulations et autres stratégies sont bien sur légion, mais on a le temps ici d'y déceler des raisons, toutes profondément humaines: ainsi, on apprend à connaitre des personnages qui révèlent par leur humanité un côté attachant, parfois inattendu, ainsi Soeur Harriet (Cora Seymour), une solide religieuse catholique Irlandaise, qui a pris sur elle d'aider les femmes de la ville à se débarrasser de leurs grossesses... moyennement une modeste participation aux bonnes oeuvres de l'hôpital. Elle est aidée par un ambulancier, Tom Cleary (Chris Sullivan), lui aussi irlandais, qui augmente ses revenus de multiples façons: en détroussant les cadavres, mais aussi en spéculant sur les accidents des uns et des autres, afin d'être le premier ambulancier sur place... Mais l'intrigue principale de The Knick est bien sur la façon dont une structure hospitalière pas forcément richissime, dont le conseil d'administration n'est pas des plus progressistes (Un ecclésiastique y dit, sans aucun scrupule, que de laisser un hôpital dans une zone pauvre n'encourage pas l'effort chez les déshérités, et que de dispenser des soins gratuitement est une erreur humaine, car elle encourage la facilité), s'adapte au progrès. Le choix de placer l'intrigue en 1900 est bien sur symbolique d'un tournant de siècle, qui voir l'hôpital construit en peine révolution industrielle, faire face aux progrès de la médecine, de la chirurgie (Une partie essentielle de beaucoup d'épisodes concerne la façon dont l'équipe de chirurgiens se livre à une concurrence effrénée avec les autres sites hospitaliers, par exemple, et il est beaucoup question de tester de nouvelles approches), mais aussi et surtout de la société: la prostitution, la drogue, l'adultère, la psychiatrie, et surtout l'intégration des minorités, qu'ils soient Noirs, Irlandais, Juifs ou Hispaniques, sont au coeur de cette très belle réalisation pour la télévision, qui est dores et déjà programmée pour une seconde saison...