
Tempête dans une conscience: le septième juré dans un procès pour meurtre, semble refuser avec acharnement l'idée majoritairement acquise dans la ville de Pontarlier, selon laquelle l'accusé, Sautral, un homme bohème et de moeurs légères, ami intime si-vous-voyez-ce-que-je-veux-dire de la victime, une jeune femme un peu trop insouciante qui a été retrouvée étranglée, serait inévitablement coupable. C'est que sa culpabilité, dure à prouver mais facile à envisager, arrangerait toute la bonne société, qui ainsi fonctionnerait à merveille. Alors si il étonne voire scandalise tout le monde, tout le monde reconnait à Grégoire Duval, le pharmacien qui joue contre son camp, un courage hors du commun, une sagacité inattendue et une énergie pour débusquer la vérité qui n'est pas si courante sur les bancs d'un jury d'assises. Mais ce que le spectateur sait, en revanche c'est que Duval n'est pas seulement intimement convaincu de l'innocence de Sautral, mais qu'il sait qu'il n'a pas commis le crime: c'est lui, le pharmacien, qui a tué la fille, parce qu'il avait commis la bêtise de la trouver prenant un bain de soleil sur les bords du lac, nue, et qu'il s'est imaginé pouvoir lui voler un baiser...
Duval est interprété par Bernard Blier, l'acteur fétiche de Lautner, et c'est sa voix qui au départ brise le silence de la scène dominicale qui ouvre le film. Les premières images nous montrent le lac dans la brume, et l'atmosphère de quiétude frileuse. on voit sans trop y faire attention de nombreux détails des activités de quelques protagonistes. On voit Blier, installé à une terrasse de restaurant, qui se lève, fait quelques pas, et voit la fille. La suite est rapide, sèche et expéditive. Juste après le meurtre, vient la voix off de Duval, qui dans un premier temps tente le déni, avant de chercher intérieurement (En retournant vers le restaurant dont personne ne l'a vu s'éloigner) des excuses, des circonstances atténuantes, voire des bonnes raisons d'avoir fait ce qu'il a fait... Mais quelques jours plus tard, il va devoir se rendre à l'évidence: ce qu'il a fait est un meurtre, et d'une certaine manière toute la bonne société locale est complice, par cette odieuse assurance d'une société cadenassée dans laquelle la morale est jugée par une minorité de bien-pensants...
Outre Blier, dont le pharmacien est lucidement juge et partie dans cette charge anti-bourgeois, c'est souvent à Maurice Biraud que Lautner et son dialoguiste Pierre Laroche confient les missiles les plus efficaces, mais ce qui ressortira de ce film est sans appel, en particulier grâce à la garce interprétée par Danièle Delorme, mais aussi au procurer incarné par Francis Blanche: force doit rester à la bourgeoisie et si l'un d'entre eux a commis un meurtre, il vaut mieux ne pas l'ébruiter. Et si sa conscience le chatouille, c'est embarrassant qu'il tente de se racheter...
On l'aura compris, si ce n'est pas une comédie, Le septième juré serait plutôt un drame caustique dans lequel la sobriété du jeu est de rigueur. Tout le monde ici est d'ailleurs exemplaire, sauf peut-être Jacques Riberolles dans le rôle de Sautral, qui a du mal à interpréter subtilement son personnage de bouc émissaire... Lautner s'essaie déjà à quelques expérimentations de mise en scène esthétique mais discrète avec la complicité de Maurice Fellous, qui le suit depuis plusieurs films, et ils captent à merveille la frilosité de Pontarlier, une ville choisie par Blier qui la connaissait bien... Et tout ce petit monde, sous la houlette de Lautner qui se livrera souvent à l'exercice sur le ton de la rigolade avec son ami Audiard, porte l'art de la charge anti-salauds à un rare degré d'intelligence, mais avec beaucoup, beaucoup de vitriol.