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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 11:40

"Attaque de drones", la formule est magique: il suffit de le dire dans un journal télévisé, et le tour est joué, on comprend instantanément sans avoir besoin d'entrer dans les détails, et le fait que les "frappes chirurgicales" (Autre formule très pratique) aient eu lieu sans la laideur d'un affrontement physique, donne une impression de sécurité qui ajoute à l'efficacité. Oui, mais qui opère une attaque de drone, et comment, à partir de quel poste, de quels ordres, dans quelles circonstances, quelles sont les marges de manoeuvre, et surtout les risques d'erreur? Le film tente de répondre à ces questions, et l'expression "Good Kill" est la conclusion tranquille apportée par le major Thomas Egan (Ethan Hawke) après une mission réussie.

Il y a un aspect documentaire dans ce film, la moindre des choses bien sur. On y voit que les militaires pilotant une attaque de drone sont deux plus un officier supérieur chargé de superviser l'opération; l'un des soldats localise les cibles et supervise le déplacement des drones, l'autre a la difficile part: il ou elle doit faire le travail de précision, cadrer la cible, viser, choisir le bon moment, obtenir l'autorisation et tirer. Thomas Egan, ancien pilote d'avion qui a du se reconvertir à cette nouvelle façon de faire la guerre, fait précisément ce travail, et en souffre. Pourtant, il y a des avantages certains, comme le fait de pouvoir rester sur le territoire Américain, et ne pas risquer de se faire descendre durant une mission, et de rentrer à la maison dans une boîte en bois. Egan rentre chez lui tous les soirs, sauf quand il a des missions de nuit. Mais la vie de famille n'est hélas plus ce qu'elle était, Thomas Egan ayant du mal à avaler le bilan de chaque mission: comme le dit un officier, quel que soit la façon qu'on ait de couvrir les faits par des mots, un pilote de drone n'en reste pas moins un tueur, et c'est ce qui ronge Egan... Alors quand d'une part son mariage finit de s'effriter à force de trop de silence et de vodka, et que d'autre part la CIA commandite une série d'attaques qui sortent de l'ordinaire et ressemblent encore plus à des assassinats, il souffre encore plus et remet tout en question...

Le lieu ou se passe l'essentiel de l'action est une base, dans le Nevada, à quelques encablures de Las Vegas. Les soldats se rendent donc le matin à a base et leur mission est effectuée dans des petits containers aménagés, toute la journée. Les éléments de langage ne ma naquent pas mais on constate que l'essentiel des conversations des hommes et des femmes sert essentiellement à justifier leur travail, ou sa moralité (Soit "Si on ne les tue pas, il vont nous attaquer", soit "au moins je vois mon épouse et mes enfants"). Mais comme le dit un protagoniste à un moment, la plupart des experts qui pilotent les drones sont recrutés à partir de leurs capacités à jouer à des jeux vidéo. On en revient donc à une situation dans laquelle tout repose sur la capacité à faire totalement abstraction de l'humanité et de la réalité des victimes. Ce qui différencie bien sur Egan de ces jeunes loups, c'est le fat d'avoir au moins connu la réalité physique des missions de combat. Ses scrupules ne sont pas d'ordre pacifiste, il ne critique pas la validité de la guerre ou des engagements de l'armée, il en valide la moralité, et souffre tot simplement d'avoir du sang sur les mains.

Et l'essentiel du film montre que même avec la technologie la plus perfectionnée, l'homme tue quand même à tort et à travers, et que les morts innocentes font toujours partie intégrante du décor. Et plus la chaîne de commandement est longue, plus les doutes quant à la moralité de l'action deviennent importants: lors de l'épisode du film consacré à la façon dont la CIA s'impose aux experts de la base pour ordonner des attaques toujours plus douteuses, des enfants, des médecins arrivés sur les lieux d'un bombardement, des passants sont abattus à tout hasard, mais les soldats obéissent à un officier supérieur, qui obéit à un agent de la CIA, qui obéit à ses supérieurs, qui obéissent à... à qui? Le metteur en scène choisit de cadrer aussi souvent que possible les Américains vaquant à leurs occupations, dans leurs villes et leurs banlieues, d'en haut: point de vue de Dieu, ou point de vue de pilote de drones?

Derrière le questionnement de la morale, qui aboutit prudemment à une conclusion ambiguë, mais rigoureuse et largement justifiée, le film en profite pour poursuivre les thèmes de prédilection de Niccol: comme dans ses films de science-fiction "légère" (Gattaca, SimOne et In Time, sans oublier son scénario pour The Truman Show de Peter Weir), il fait reposer son intrigue sur un fait technologique parfaitement clair, cette fois la capacité à frapper à distance sans aucun engagement humain de la part de l'attaquant, et donne parfois l'impression d'assister à un film d'anticipation. Pourtant tout y est rigoureusement authentique... Le réalisateur-scénariste a su poser les bonnes questions, et son film est hautement moral, sans jamais sombrer comme peut le faire par exemple American Sniper de Clint Eastwood dans la moindre tentation patriotique. La réflexion de Niccol porte ici sur l'humanité, non pas sur l'Américain, ou la nation Américaine. Ce n'en est que plus effrayant...

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Published by François Massarelli - dans Andrew Niccol Guerre