Fièvre est le deuxième film de Delluc, ce critique Français passionné, et passé à la mise en scène dans un élan jusqu'alors inédit, créant du même coup le terme de "Cinéaste". Terme qui, au passage, change de sens d'une langue à l'autre: si en Français il désigne principalement ceux qui font du cinéma, et en premier lieu les metteurs en scène, en Anglais il prend plutôt la signification de notre 'cinéphile'... Donc on revient toujours à l'idée que Delluc était aussi passionné que créateur d'images.
Fièvre est une date importante du cinéma Français, ayant contribué à créer un mouvement au nom étonnant, l'impressionnisme cinématographique, à mon sens beaucoup plus une réponse apportée au style "Expressionniste" du cinéma Allemand, alors en vogue dans la critique Européenne malgré le fort ressenti anti-germanique de la population, qu'une traduction à l'écran du style impressionniste des oeuvres de Monet, Renoir et autres "impressionnistes"... S'il fallait trouver une style artistique auquel raccrocher Fièvre, il me semble que le terme de naturalisme s'imposerait de fait, car cette histoire d'un drame sordide, contée sur un temps comprimé mais sur une seule soirée, dans un décor unique, renvoie beaucoup aux oeuvres de Zola et Maupassant, et pour le cinéma, aux films de Stroheim. Cela était-il conscient? J'en doute, car en 1921, on commençai tout juste à distribuer les films de ce dernier en France, et le grand choc de Foolish Wives n'allait pas se produire avant 1923. Il y a pourtant, dans l'idée de départ, dans le ton et dans la façon de conter cette histoire, beaucoup de similitudes entre Delluc et le réalisateur de Blind Husbands...
Dans un bar à matelots sur le port de Marseille, on fait la connaissance de Sarah (Eve Francis), l'épouse de Topinelli (Gaston Modot), le patron. Elle l'a épousé suite à un chagrin d'amour: son amant Militis (Edmond Van Daele) avait disparu sans laisser de trace, elle ne l'a jamais ni revu, ni oublié... Des matelots en escale arrivent, et envahissent les lieux, accompagnés de filles. Parmi eux, Militis... la confrontation entre l'homme et sa maîtresse sera électrique, mais ce n'est rien à coté de ce qui va arriver lorsque Topinelli va comprendre la situation...
Tout part du café, que Delluc nous détaille: le bar, la façon tranquille dont Sarah mène son petit monde, les habitués, dont certains vont participer au drame, d'autres non. Et l'arrivée des marins en bordée va apporter le tumulte, on sent bien à partir de là la façon dont Delluc a choisi de traiter la mise en scène: il a assigné à chacun un rôle, tout en laissant faire les caractères et les affinités. On soupçonnerait volontiers le metteur en scène d'avoir choisi d'engager des professionnelles, comme Stroheim ou Pabst le feraient quelques années plus tard... Il ressort de ces scènes des impressions de vérité qui sont assez frappantes, et le film, tout en se déroulant souvent sur des plans larges, possède un sens du détail qui reste frappant... L'interprétation reste finalement très réaliste, à l'exception sans doute de Eve Francis, la star, qui en fait parfois des tonnes... Le film se conclura avec l'intervention d'un personnage finalement assez énigmatique, déclencheur du drame malgré elle: Militis est revenu d'orient avec une épouse, une jeune femme (Elena Sagrary) qui semble ne rien comprendre à rien, et qui ne s'anime, indifférente à ce qui l'entoure, que pour s'approcher d'une fleur qui l'intrigue par sa beauté... Mais elle sera déçue, elle est artificielle. Un soupçon de réminiscence de la beauté intrigante de Broken Blossoms, de Griffith, nous passe alors par la tête...