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Difficile a priori de reconnaître la patte de John Ford, qui est engagé par la Goldwyn pour réaliser son unique film avec Ronald Colman. C'est un résultat passionnant, parfois ambigu, et profondément attachant. Colman y interprète le héros éponyme du roman de Sinclair Lewis, un médecin obsédé par la trace à laisser dans l'histoire de la science, et qui malgré lui revient toujours à découvrir avec stupéfaction en lui l'humanité d'un médecin généraliste... Une fois passé du côté de la science pure, Arrowsmith va avoir à sa disposition du pain sur la planche, à la faveur d'une épidémie de peste bubonique qui va tester sa résolution: faire avancer la science à tout prix et donc faire profiter l'humanité toute entière, au détriment des malades sil le faut, ou traiter les gens de manière à empêcher qu'ils meurent, sans pour autant faire avancer les choses... Arrowsmith, dès le début du film, fait une rencontre qui sera déterminante: Leora Tozer (Helen Hayes) va, en effet, devenir assez rapidement sa femme. Elle le soutiendra, et d'une certaine façon sera toujours par sa présence la garante de l'humanité du médecin. C'est précisément parce qu'il la laissera derrière lui lors de son expérience avec la peste que la situation va dégénérer.
Difficile de considérer Arrowsmith comme un héros Fordien, en effet. Il manque singulièrement d'humanité et laisse trop tardivement le doute s'installer en lui. Il a un côté Malthusien, dont toute l'empathie semble conditionnée à la présence de son épouse. Et on n'a pas l'habitude de voir Ford s'attacher à la vie d'un scientifique... Mais si le metteur en scène a en effet été greffé au projet sur le tard, le film a des qualités, d'abord plastiques: toujours surdoué pour la composition photographique, Ford avec la complicité d'un chef-opérateur Goldwyn, Ray June, s'amuse avec la brume, avec la lumière et profite des changements d'ambiance du film avec une certaine gourmandise; no passe, après tout, du Dakota à New York, de la neige à la mousson dans les caraïbes... Colman est Colman, c'est-à-dire qu'il est aussi impeccable que Britannique, et Helen Hayes, figure tragique, semble ici dirigée d'une main experte, elle qui avait parfois tendance à en faire sérieusement trop, fait ici connaissance avec la méthode Ford: si ce n'est pas mal à la première prise, pourquoi en faire une seconde?
Maintenant, si j'en crois les filmographies, le film est semble-t-il à 98 minutes incomplet, manquant sans doute 10 minutes. Une sous-intrigue pourrait bien avoir été sérieusement rabotée. Lors de son éloignement, Arrowsmith fait la rencontre d'une jeune femme qui lui décoche des regards d'autant plus langoureux qu'il s'agit de Myrna Loy. Le film en l'état ne nous montre pas leur idylle, mais il est probable qu'elle n'était pas que suggérée dans la version sortie avant le renforcement du code Hays. En attendant, la rencontre est, en un seul mouvement de caméra des pieds à la tête de l'actrice (C'est Myrna Loy!!! Je l'avais déjà dit?), l'un des moments les moins spirituels de toute la filmographie de Ford...