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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 17:08
The informer (John Ford, 1935)

Je considère ce film comme un malentendu. Sorte de chef d'oeuvre officiel pour compilateurs de questions destinées aux jeux télévisés, le film qu'on n'a pas vu mais qui est supposé synthétiser l'oeuvre entière, ou représenter l'ensemble de ce que John Ford a fait... Alors qu'un simple coup d'oeil à, disons 5 films de Ford, quels qu'ils soient, révélera un univers d'une richesse infinie, l'académie des Oscars, relayée par des critiques du monde entier, a décerné le certificat de Fordisme ultime à The Informer, au mépris de tant d'autres oeuvres tellement plus riches, complexes... et meilleures. Cela étant dit, ça ne doit en aucun cas nous empêcher de discerner des qualités réelles dans le film, et de fait il n'en est pas dénué...

L'intrigue provient du roman du même nom de Liam O'Flaherty, qui est situé à Dublin au début des années 20, durant ce que d'aucuns appelèrent l'insurrection, et d'autres la guerre d'indépendance. Tout est question, évidemment, de point de vue... Gypo Nolan, un bon à rien (Victor McLaglen), n'en peut plus d'être incapable de permettre à sa petite amie Katie (Heather Angel) de quitter sa vie de misère et la prostitution, pour se rendre en Amérique. Le voyage coûterait 10 livres, il en fait donc 20... Et 20 livres, c'est la somme précise que propose l'armée Britannique contre tout renseignement conduisant à la capture de Frankie McPhillip, un révolutionnaire de premier plan (Wallace Ford). Frankie est un copain de Gypo, mais la tentation est trop forte. Le problème, c'est ce qui va se passer après... Comment Gypo, qui avait été jeté à la porte de l'armée rebelle, va-t-il échapper à leur vengeance? Et comment va-t-il surmonter le sentiment de culpabilité, lui qui désormais est un Judas?

C'est précisément sur une allusion à l'apôtre préféré, celui qui au final allait trahir, que commence le film. On ne va pas attendre longtemps avant d'entrer dans le vif du sujet, mais ce qui est remarquable dans ces cinq premières minutes, c'est le silence dans lequel elles se déroulent. Plutôt que de silence, il faudrait sans doute parler d'absence de dialogues, d'ailleurs... Ford en se replongeant dans le style inspiré de l'expressionnisme, et du cinéma de Murnau, se replonge automatiquement dans sa période muette. Mais le dialogue va vite rompre le charme, dans un film bavard et surjoué, dont les fulgurances sont essentiellement question d'image et de rythme, ainsi la scène durant laquelle les "black and tans", les forces Anglaises, viennent chercher Frankie à son domicile, puis la violence de l'affrontement qui s'en suit. Dans une histoire qui passe par le crime de trahison, la culpabilité, le mensonge, l'oubli, le pardon, la rédemption puis la mort d'un homme, on suit beaucoup les égarements d'une brute épaisse qui tente par tous les moyens même les plus pathétiques de travestir la laideur de son geste, et c'est d'une infinie lourdeur. Et si, lors de la mort de Frankie, Ford et Joseph August placent la caméra du point de vue du révolutionnaire, montrant en quelque sorte de façon explicite de quel côté se situe la sympathie du metteur en scène, on peine à avoir envie de donner à tous les "rebelles" sentencieux et aveuglé par "la cause" la moindre circonstance atténuante. Ils portent la gabardine avec un peu trop d'aisance... Donc on a pitié pour ce gros sac à vin de Gypo, mais pas beaucoup plus. Je me risque à un dernier crime de lèse-majesté: Victor McLaglen, dirigé par Ford dans des prises qui sont sans doute rarement plus de deux, en fait des tonnes, vraiment des tonnes!

L'un des aspects les plus étonnants de ce film reste sans doute qu'il s'agissait d'un tout petit budget, pour Radio Pictures, filiale de RKO. Mais Ford et August ont su tirer partie des éléments les plus inattendus, convoquant un brouillard intense (Et métaphorique, à n'en pas douter!) pour cacher le carton-pâte de leurs décors, et ça marche plutôt bien. Car si le symbolisme lourdingue du film, le jeu empesé de tout ce petit monde, et la façon dont le personnage traîne sa culpabilité d'un bouge à l'autre sont hautement irritants, il n'en va pas ainsi de l'image, car comme d'habitude Ford est décidément l'un des plus grands metteurs en scène du monde, sachant instinctivement tirer partie de tous les environnements pour créer des images de toute beauté, et utiliser à la perfection l'ombre et la diffusion de la lumière, dans une histoire qui se déroule intégralement sur une nuit. Le travail au plus près des corps, les magnifiques gros plans de la séquence finale sur Una O'Connnor et McLaglen nous rappellent que derrière ce film bavard, il y a des artistes qui s'expriment... Et Max Steiner qui avait déjà travaillé sur The lost patrol, fait un boulot fantastique, comme d'habitude, pour accompagner comme il l'avait fait sur King Kong tous les mouvements de Gypo, et chaque émotion dans ce film, en ayant bien sur recours avec gourmandise à une véritable plongée dans le folklore! Donc on comprend, paradoxalement, que Ford ait eu au final un Oscar de la mise en scène pour son film, le seul problème c'est qu'on soupçonne du début à la fin que c'était précisément son but. Pourtant, si j'admets l'importance historique de l'attirance pour Ford des techniques héritées de Murnau et de son passage éclair à la Fox (un gout esthétique qu'il partageait d'ailleurs avec Hitchcock!), je pense que c'est d'une part à l'époque du muet, et d'autre part dans la diffusion de ces élans artistiques dans le reste de l'oeuvre que cet aspect de son style prend tout son sens.

Et quant à l'Irlande, ce pays rêvé par Ford, je la préfère cent fois de pacotille comme dans l'admirable film The Quiet Man, lui aussi traversé par la culpabilité d'un homme, mais qui ne devient pas en permanence le prétexte pour un metteur en scène aussi grand soit-il, à attirer l'attention de manière excessive, voire grossière...

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Published by François Massarelli - dans John Ford