
14 années après le triomphe mérité de La ballade de Narayama, le toujours actif, toujours pétulant Imamura récidive et se paie le luxe, lui qui n'a jamais cessé de taper sur tout ce qui bouge, de se re-faire consacrer par une palme d'or, certes partagée. Et L'anguille est un bien beau film, situé dans un décor qui ne pouvait que motiver l'auteur de quelques classiques provocateurs des années 60: Yamashita (Kôji Yashuko)est sorti de prison, bien décidé à se tenir à l'écart de tout ce qui risque de le faire rechuter: il a tué sa femme qui le trompait, dans une scène graphique terrible, et on s'en doute dominée par le rouge. Donc s'il veut réussir sa libération conditionnelle, la loi exige qu'il ne commette aucun délit, aussi mineur soit-il, mais pour lui ce n'est pas suffisant: il doute de sa capacité à aimer, et à assumer le désir, compte tenu de ce qu'il a fait à la femme qu'il aimait. Dans ce qui est pour l'instant un drame lourd et psychologique, arrive donc Keiko (Misa Shimizu), un petit bout de bonne femme, en fuite (Elle a même tenté de se suicider), mais qui va s'accrocher à Yamashita, qui l'a sauvée de la mort, mais elle va surtout tomber amoureuse de lui, bien qu'elle soit enceinte d'un autre...
Le film tient essentiellement du conte loufoque, mais sous-tendu par une dimension tragique; car le crime du début du film est le chaos qu'il va falloir dépasser pour avancer, et dans le microcosme du film, autour de cette absurde baraque de coiffeur que Yamashita a investi pour sa reconversion, tout le monde semble fonctionner dans le seul but de sauver Yamashita de lui-même: c'est tout un univers qui est montré, dans lequel chaque personnage (Un charpentier, un jeune vaguement voyou qui promène sa voiture de sport partout, un bonze chargé d'accompagner le retour à la liberté de Yamashita, et son épouse, un étudiant obsédé par les extra-terrestres, etc...) semble finalement ne se préoccuper que du bien-être du héros. La seule exception, c'est un ancien taulard, qui lui a choisi de tout faire pour retourner en prison, et qui représente essentiellement la tentation de mal faire pour le héros. Mais la plus visible, c'est bien sur Keiko, qui ressemble un peu à lépouse disparue, et qui est si clairement une chance d'avancer pour Yamashita qu'on lui en voudrait presque d'hésiter... Quant au titre, il se réfère à l'animal que Yamashita a élevé depuis qu'il était en prison, envers lequel il tente de témoigner de tout l'amour et de toute la tendresse dont il se croit capable, et avec lequel il a parfois d'étranges conversations, qui seules lui rendent une certaine joie. Les interprétations de la symbolique de l'animal sont bien sur nombreuses, et toutes les hypothèses sont permises...
Parfois burlesque, même violent, le film déroule sa petite histoire un peu bouffonne, un peu triste, sur près de deux heures durant lesquelles on ne s'ennuie jamais. Imamura, toujours partisan de la sensualité et du bonheur terrestre, tente une fois de plus de s'approcher de la réalité humaine avec les yeux d'un entomologiste un rien fripon... Mais débarrassé de la colère qui était la sienne au début des années 60 (Cochons et cuirassés ou Le pornographe en témoignent), il nous livre un conte apaisé, et, mais oui, plein d'espoir...