Max veut faire du théâtre, et la belle Jane également... sauf que ces deux-là ne se connaissent pas, du moins pas encore. Mais de toute façon, leurs parents respectifs ne souhaitent en aucun cas que leur progéniture se fasse voir sur les planches. Et on veut les faire se rencontrer, afin de les marier... Comme ils ne se connaissent pas, l'un et l'autre ont la même idée: se déguiser en se rendant si repoussant que l'autre ne pourra pas être séduit, et ainsi échapper au mariage arrangé... La rencontre a bien lieu, et le jeu d'enlaidissement bat son plein... Jusqu'à ce que...
Jane Renouardt, je l'ai déjà dit ailleurs, est l'une des plus importantes rencontres de la vie de Max Linder. Comédienne, n'ayant peur ni du ridicule ni de payer de sa personne, elle a parfois eu une sorte d'égalité virtuelle en partageant e titre avec son partenaire, comme ici. Et la comédie est fort drôle dans ce film quasi totalement visuel: Même si on se doute qu'il s'agit d'un accident de préservation plutôt que d'une volonté des auteurs, le film est présenté avec en tout et pour tout un seul intertitre. Ainsi on devine la teneur de la conversation des jeunes gens avec leurs parents (Max avec son père, Jane avec sa mère) par leurs seuls gestes. Et le processus d'enlaidissement (Particulièrement difficile pour Jane Renouardt) y est laissé aux seules images. Max a choisi un fax dentier ridicule, et Jane a fait confiance à sa seule coiffure pour se ridiculiser, même si elle choisit à un moment absurde (Et fort politiquement incorrect) de faire peur à Max en se déguisant, hélas, le mot est celui qu'on utilisait à l'époque, en "négresse". La réalisation par l'un et l'autre est un moment de pur charme cinématographique, qui rappelle que max Linder, le prince du rire en Europe, avait l'ambition à peine cachée de réaliser des films sentimentaux, et l'aurait fait si le monde entier ne l'en avait empêché: Pathé ne voulait pas tenter la chance, et son public voulait que Max reste un amuseur...
La fin attendue de cette histoire (Réalisation des tourtereaux, puis début de l'idylle) est située 6 minutes avant que la bobine ne se termine, ce qui laisse penser que le film a peut-être été allongé après coup. Quoi qu'il en soit, Max Linder s'est amusé à jouer un peu avec ses spectateurs en leur montrant la vie conjugale de Max et Jane sous la forme d'un pur cauchemar: la jeune femme est restée au taudis familial pour s'occuper de leur enfant, et semble malheureuse, la robe déchirée et les cheveux sales... Quand Max rentre, les habits déchirés, il s'emporte contre elle parce que la seule bouteille de vin présente est vide. Puis il la bat, et enfin la poignarde, avant de mourir d'horreur...
Le rideau tombe, les spectateurs applaudissent à tout rompre, et Max Linder et Jane Renouardt reviennent saluer leur public, aux premiers rangs desquels leur parent respectif... Ouf. C'est la fin d'une comédie remarquablement bien troussée, qui figure aujourd'hui en HD dans la compilation de dix courts métrages sélectionnés parmi les films d'avant la première guerre mondiale par Maud Linder, dans le coffret qu'elle a consacré à son père, aux Editions Montparnasse. C'est, de loin, l'un des meilleurs.