La "méthode dangereuse" du titre, c'est bien sur la technique de conversation prônée par Sigmund Freud, et expérimentée par son disciple Carl Jung, dans ce film, sur une patiente hystérique. Cronenberg nous transporte entre la Suisse et l'Autriche, et situe son intrigue à la base d'une rupture entre les deux grands noms de la psychanalyse. Sabina Spielrein, la patiente atteinte d'hystérie, sera le révélateur non seulement de cette divergence entre les deux hommes, mais aussi, à sa façon, de l'inévitable évolution de la science, qui prendra de nombreuses formes. Et fidèle à la tradition des films de Cronenberg, le film allie les contraires, et il les oppose avec un humour toujours plus discret, et une rigueur narrative impressionnante.
Carl Jung (Michael Fassbender), bourgeois qui se définit lui-même comme "aryen" (On est au début du XXe siècle, et Wagner, que le bon docteur admire, est passé par là, lui et des dizaines d'illuminés obsédés par cette fracture entre les "races"), est un homme installé. La psychanalyse est son domaine de prédilection, et il envisage de continuer un peu plus loin les travaux de Freud (Viggo Mortensen). Quoique... il n'accorde pas à la sexualité la même importance que son aîné. Mais il est amené à traiter une jeune femme hystérique, Sabina Spielrein (Keira Knightley), qui va jouer un grand rôle aussi bien professionnellement que personnellement: elle va être un parfait sujet d'études, mais elle sera aussi non seulement sa maîtresse mais probablement l'amour de sa vie. Et la belle, élevée au rang de collègue, va devenir elle aussi une disciple de Freud.
Freud contre Jung, c'est un festival de différences. Pourtant, dans un premier temps, comparés à Otto Gross (Vincent Cassel), un autre disciple de Freud, ils semblent assez similaires: Gross est un incorrigible obsédé sexuel qui a décidé de vivre sans le moindre frein. De son côté Freud utilise la précision de son art et sa faculté d'analyse comme rempart contre toutes ses pulsions, et Jung quant à lui n'a pas besoin de se restreindre: c'est un bourgeois protestant... Il faudra toute la détermination et la passion de Sabina pour enfreindre ses principes, et commettre l'adultère. Si les différentes origines des deux hommes sont soulignées par Freud à un moment, la différence de vues entre Freud et Jung, nous suggère le film, passe surtout par les vues sur la sexualité. Primordiale et unique moteur du monde pour Freud, l'un des moteurs mais pas le seul pour Jung. Mais la révélation du film, à travers le personnage de Sabina, est que la passion sexuelle et l'accomplissement professionnel ne sont absolument pas incompatibles. Au milieu de ces querelles entre médecins barbus, c'est la femme qui va jouer le rôle de révolutionnaire... Oh, assez discrète certes, et limitée par les conventions sociales, qui font d'elle une sorte d'extension de son amant. Mais si le film commence en nous montrant Keira Knightley en chemise, totalement incontrôlable, il finit en nous la montrant sereine, revenue de ses passions (Elle y est obligée par le refus de se compromettre de ce bon Dr Jung), mais aussi mariée et enceinte. L'avenir est en marche...
L'humour discret et foncièrement sobre est tempéré ici par la rigueur de la reconstitution historique, ce merveilleux apanage du cinéma. Les obsessions corporelles de Cronenberg passent par le langage, quoique les rapports faits (A la requête de la jeune femme) d'humiliation et de masochisme, de Jung et Sabina, soient assez graphiques, et que Sabina soit vue parfois dans d'inconfortables attirails, comme en chemise de nuit, dans une mare, couverte de boue à moins qu'il ne s'agisse d'une autre matière. Je déplore comme d'habitude la sale manie d'utiliser un accent "Nous afons les moyens de fous faire parler", cette irritante convention injustifiable... Enfin si Viggo Mortensen et Michael Fassbender ont clairement pris du plaisir à interpréter les deux lumières de la psychanalyse, Keira Knightley, hystérique ou calmée, aux abois ou passionnée, discutant passionnément avec Freud ou de façon restreinte et inconfortable avec Mme Jung, même couverte de crotte, est splendide, comme d'habitude.