En apparence, un thriller classique, avec secrets, violence, affrontements, évolution et même, finalement, espoir. Les héros de ce film paradoxal ne seront pas laissés sur le carreau... On y raconte les quelques jours risqués passés dans l'ombre de la mafia Russe, par une jeune sage-femme, elle même d'origine Slave, Anna (Naomi Watts). Elle s'est occupée d'un cas navrant à l'hôpital, une adolescente enceinte, qui a accouché prématurément d'une petite fille fragile avant de mourir. La seule trace de son identité était un journal rédigé en russe, qu'Anna ne parle pas. Elle se met donc en quête de quelqu'un qui puisse l'aider, et va d'abord sonner à la porte d'un restaurant: Tatiana, la jeune mère décédée, avait sur elle une carte de cet établissement. Mauvaise (Ou bonne?) pioche: le patron, Semyon (Armin Mueller-Stahl), est justement le caïd local, et son fils Kirill (Vincent Cassel) est tout sauf un rigolo; dans l'ombre de ce dernier, il y a Nikolaï (Viggo Mortensen), un chaufeur mystérieux, taciturne, et... à la fois fascinant et dangereux. Anna va au devant du danger...
Trois films en un, c'est ce qu'on peut dire de ce film parfaitement maîtrisé. En apparence donc, un film bien fait, calibré et moral pour la BBC: on y explore la réalité de la mafia russe, avec son folklore, c'est extrêmement bien documenté, sur le code des mafieux, la philosophie de ces gens très violents, comme sur les rites notamment liés à l'utilisation du tatouage. C'est aussi un divertissement, si on veut, tant le film vous accroche avec ses personnages hauts en couleurs, et leurs vie intérieure riche: Naomi Watts, et son histoire compliquée de jeune femme qui a perdu un enfant à un stage avancé de la grossesse, et qui se retrouve tout à coup en charge de l'enfant d'une autre, et de son destin; Viggo Mortensen, qui sous ses impressionnants tatouages, sous des dehors d'exécutant infaillible et froid, cache un secret inattendu; enfin, Vicent Cassel interprète un mafieux fort en gueule, toujours prompt à souligner sa masculinité, mais ça cache probablement quelque chose...
Et la troisième dimension, ou la troisième couche de ce film, est celle qui renvoie au cinéma de Cronenberg: le corps. Il nous le souligne, le rappelle sans cesse dans ses films, dans sa splendeur organique. Ici, ce sont les détails de la mort de la jeune Tatiana, dont le corps brutalisé et nécrosé nous est montré dans une scène au début, et sa fille nous est aussi montrée, avec un cordon ombilical plus vrai que nature. Le film n'est pas avare non plus en pratiques corporelles liées aux rites de la mafia: on égorge pas mal dans le film, on se bat aussi. Et justement, dans une scène-clé, Viggo Mortensen est attaqué dans un sauna, et va devoir se défendre, totalement nu. La caméra ne fera aucun détour, et l'acteur est littéralement à poil, se battant contre deux costauds Tchétchènes, habillés de cuir et armés de lames tranchantes. Il ne s'en tirera pas indemne, et la lutte st très, très difficile... Une scène qui renvoie finalement au thème principal du film: les tatouages du mafieux ne sont finalement pas qu'une sorte de parcours initiatique mentionné sur la peau, ils ne sont pas qu'une identité assumée (Les tatouages dans ce milieu jouent un rôle précis, celui d'être l'historique de la vie et de la carrière d'un de ces bandits), ils deviennent une seconde peau, une carapace. Celle-ci peut très bien après tout, avoir été inventée de toutes pièces, afin par exemple de favoriser l'infiltration d'un tiers. Mais en ce cas, à quel moments les tatouages peuvent-ils cesser d'être factices, à quel moment un homme dont la tâche est de faire semblant d'être un mafieux, cesse-t-il de faire semblant? Réponse au bout de l'aiguille...