
Tourné en 1944 -1945, puis complété en 1946, ce film a eu une destinée peu banale... Et dure, dure, jusqu'à aujourd'hui, parce qu'il résume à lui tout seul tout l'ADN de ce qu'on appelle le film noir. J'ai parfois une surprise (Mais je ne devrais pas m'étonner, en ces temps de formatage, les gens ne sont plus armés pour voir un tel film) quand on me parle de ce chef d'oeuvre, en se plaignant de l'histoire trop obscure: c'est comme de se plaindre du fait que la musique, ça fait du bruit. Ou de reprocher à Pollock de mal dessiner ses personnages...
L'intrigue de The big sleep n'existe pas, ou plutôt on s'en fout. Elle ne tient de toute façon pas debout, et qui doit s'en soucier?
Ce qui compte, c'est de lâcher Marlowe au milieu d'un sacré panier de crabes, de le confronter à tous ces menteurs, et de le voir surnager, risquant sans cesse sa peau, et faisant en toute liberté (Morale, religieuse et sexuelle) des rencontres féminines toutes plus gonflées les unes que les autres... Si comme dans tous les films de Hawks, l'intrigue est indissociable de l'homme (Humphrey Bogart en Marlowe, forcément tabagique et alcoolisé, un chapeau vissé sur la tête) et de son travail (Et quel travail!), l'autre aspect important des films de Hawks, à savoir l'unité de la scène, est ici à son plus haut niveau. Cessez de chercher des poux dans la tête de cette intrigue sans queue ni tête, et considérez chaque scène comme un tout. On a rarement vu une telle collection de moments mémorables (Les deux scènes de librairie dos à dos, les entrevues à bâtons rompues entre Bacall et Bogart qui n'ont qu'une envie, c'est de se sauter dessus, les scènes durant lesquelles les coups de théâtre pleuvent comme autant de balles perdues)... Mais ce n'est pas tout: l'autre atout de ce film plus que majeur, c'est le style bien sur. Pas de voix off inutile, ce cliché finalement plus popularisé dans les années 80 que dans les années 40, non: une atmosphère à couper au couteau, entre la canicule intérieure de la première scène dans la verrière du général Sternwood, à la pluie battante (La Californie sous un nouveau jour), en passant par l'orage... et les jeux d'ombre et de lumière... La musique de Max Steiner... Bref, du Warner des grands jours, quoi!
Ah, avant qu'on ne pose la question, le "grand sommeil" du titre, c'est celui auque personne n'aspire, mais nous attend tous.