On entre dans ce film par la vision d'une maison de poupées, puis la caméra nous révèle la chambre où on la trouve, en particulier une procession de jouets, des animaux aux tailles dépareillées alignés dans une étrange procession... On est dans la chambre de Briony, 13 ans, une jeune fille fantasque (Saoirse Ronan) qui écrit. Elle met la dernière main à sa première pièce, dont elle espère pouvoir diriger la première interprétation le soir même, car dans la maison des Tallis, arrivent trois cousins: Lola (Juno Temple), qui est un peu plus âgée qu'elle, et ses deux jumeaux de frères, qui sont bien turbulents.
A cette occasion estivale, toute la famille se réunit dans la luxueuse demeure familiale, et un dîner est organisé le soir même, comme pour fêter le retour au bercail de Leon (Patrick Kennedy), le grand frère. Celui-ci amène un ami, un fils à papa un rien snob (Benedict Cumberbatch), l'héritier d'un chocolatier très en vue. Mais un autre sera invité lors de cette soirée, Robbie Turner (James McAvoy), le fils de la gouvernante. M. Tallis l'a pris sous son aile et lui a financé ses études en échange de travaux occasionnels (...et quotidiens) sur la propriété. Il a grandi avec les enfants Tallis mais surtout avec Cecilia (Keira Knightley), la grande soeur de Briony.

Cecilia est d'ailleurs prise entre deux comportements: ignorer Robbie, comme sied à son rang, ou bien continuer à le fréquenter et afficher de la complicité avec lui... Lors des premiers moments du film, dans cette demeure qui ressemble d'ailleurs fort à la maison de poupées du début, Briony va voir un incident qui aura des conséquences néfastes sur bien des personnages. Nous aussi allons le voir, deux fois: Briony avait vu Robbie, près du luxueux bassin qui est situé devant la résidence. Rejoint par Cecilia, les deux parlaient, quand soudain Briony a vu Cecilia, manifestement en colère, se déshabiller... pour plonger dans le bassin, et ressortir, ruisselante et en chemise, et planter là son ami qui ne savait clairement pas où se mettre. Briony, instinctivement, pense que Robbie a fait quelque chose. Tout de suite après nous allons voir plus en détail le déroulement des événements, et nous apercevoir qu'il s'est bien passé quelque chose, mais qu'en aucun cas Robbie n'a poussé Cecilia à faire son plongeon dans le bassin... Cecilia a cherché un prétexte pour approcher le jeune homme, et dans leur conversation, celui-ci a cassé et fait tomber les morceaux d'un vase de luxe qu'elle portait dans le bassin. Cecilia s'est donc déshabillée afin de récupérer les fragments du vase. Avait-elle calculé que par le théorème du T-shirt mouillé, il en résulterait pour le jeune homme une irrésistible vision? Quoi qu'il en soit, après leur entrevue il est rentré chez lui et avant de se préparer pour le dîner, a écrit une lettre d'excuses à Cecilia...

Cette répétition d'un événement, sous deux points de vue différents, celui de Briony et le nôtre, installe donc une illustration à la fois du conflit de classes, qui perdure dans le film jusque dans ses moindres recoins, et qui est si typique de l'Angleterre des années 30, mais aussi du fait que nous sommes, pour une large part du film, les témoins de l'imagination fantasque de Briony. C'est donc une excellente idée que d'avoir confié le rôle de la jeune femme à Saoirse Ronan, qui sait jouer dans un territoire intermédiaire, entre la petite peste capricieuse, et la naïveté adolescente, le rôle d'une personne qui décidément a trop d'imagination... Les deux autres parties du rôle la voient grandir (Romola Garaï) puis vieillir (Vanessa Redgrave).
Le reste de la soirée va encore, à trois reprises, être modelé à partir de l'imagination fertile de Briony: en écrivant sa lettre à Cecilia, Robbie s'emmêle les pinceaux, et recommence sa missive sans succès. Au bout d'un moment, il se lâche et écrit quelques lignes, sur un mode explicite et pornographique... Ce qui le fait bien rire, mais surtout ça l'a défoulé: du coup le message qu'il écrit juste après est le bon! Excuses ciselées, mais aussi des allusions claires mais pas excessives à ses sentiments pour elle. Une fois le message écrit, Robbie s'habille, et se prépare à partir. Il prend une lettre, la met dans une enveloppe, part, et confie l'enveloppe à Briony pour que celle-ci la donne à Cecilia...

Maintenant, si on voulait que tout se passe bien pour les personnages, il est à peu près sûr que le message serait le bon. Voire que Briony ne le lirait pas... Mais d'une part Briony va le lire, et d'autre part, bien sûr il s'agit du message porno, qui est non seulement très salé, mais aussi, et Cecilia le prendra comme tel, fortement sincère. Il en résultera une scène d'amour dans la bibliothèque, qui aura un témoin malencontreux: Briony, bien sûr. Et enfin, Briony qui a vu sa cousine Lola en pleine nuit, juste après qu'elle ait été violée (Par qui? On le saura à la fin du film, j'y reviendrai), accusera Robbie: après tout, c'est une bonne occasion, pense-t-elle, de se débarrasser de celui qui fait du trucs pas catholiques à sa soeur, et de plus, au cas où on n'aurait pas encore compris, Briony n'est pas douée que d'une imagination fertile: elle est très jalouse.
Le reste du film est conditionné par ce prologue brillant, dans lequel Joe Wright conditionne tout à l'imagination d'une jeune fille déjà attirée par l'écriture. Mais cette fois, elle a trouvé, involontairement, le moyen de donner du corps à ce qu'elle imagine. Non content de soumettre sa mise en scène à cette notion de point de vue et d'imagination, Joe Wright fait preuve dans toute cette partie d'une verve visuelle impressionnante...
Le reste du film est situé en pleine guerre mondiale, et nous assistons au calvaire de Robbie, engagé coincé sur les plages à proximité de Dunkerque, qui rêve de retourner en Angleterre, car il a revu Cecilia qui n'a jamais cru en sa culpabilité, et souhaite reprendre avec lui là où ils s'étaient arrêtés dans leur relation. Cecilia, souhaitant couper les ponts avec sa famille, est devenue infirmière. Quant à Briony, rongée par le remords, elle a elle aussi commencé à travailler en tant qu'infirmière. Et elle cherche à contacter sa soeur et tout faire pour tenter de réparer le mal qu'elle a fait...
C'est brillant là encore, avec des morceaux de bravoure de la part d'un cinéaste qui revendique sa part d'héritage de David Lean: il accomplit un tour de force avec la reconstitution de Londres en plein Blitz, et surtout Dunkerque, la fameuse bataille controversée de la Guerre-éclair, fait l'objet d'un plan-séquence hallucinant; on n'oubliera pas non plus les pérégrinations de trois soldats Anglais dans la Somme dévastée qui rappellent le sublime "La condition de l'homme" de Masaki Kobayashi. Rien que ça... Bref, ce film passionné est bien plus qu'un film de luxe avec des rôles en or pour stars en devenir (Qui sont tous brillants de bout en bout, à propos): c'est un exercice de style dans lequel le cinéaste nous montre l'art et l'imagination comme rempart contre l'horreur et l'injustice, tout en faisant se joindre deux imaginations fertiles: celle d'une enfant, et celle d'une dame trop âgée. Mais il a aussi beaucoup situé son film sur un terrain "social", en nous montrant les filles Tallis obsédées par leur "rang", et la différence de leurs petites personnes avec le fils de la gouvernante, mêle adoubé par leur père. Et ironiquement, quand on voit vers la fin du film une dernière confrontation entre Cecilia et Robbie d'une part, et Briony qui avoue son mensonge, celle-ci se rend compte que tout ce temps, les deux amoureux sans se concerter avaient cru que le coupable du viol était Dannie (Alfie Allen), un domestique de la propriété Tallis que personne ne regarde quand on s'adresse à lui: il n'est personne...
Haut la main, le meilleur film de Wright, facilement.
