Avec ce film inspiré de Charles Dickens, Lloyd est en terrain connu, ayant déjà tourné des adaptations de l'écrivain Anglais, la plus notable étant bien sur son A tale of two cities de 1918 pour la Fox. Mais cette nouvelle tâche pour la First National est beaucoup plus intéressante, confrontant le metteur en scène Britannique à deux vedettes particulièrement atypiques, en plus d'un casting absolument irréprochable. En effet, cet Oliver Twist est un "véhicule", comme on disait alors, pour Jackie Coogan, révélé l'année précédente par Chaplin dans The Kid, et que la First National souhaitait exploiter dans une série de films de qualité avec des histoires qui pourraient être vues par toute la famille. Pour l'épauler, il fallait bien sur un acteur capable de reprendre le rôle du méchant par excellence, l'odieux Fagin, aussi bien dans le jeu que dans le physique. Et bien sur, c'est Lon Chaney qui s'y colle...
On suit donc en 74 minutes les aventures d'Oliver Twist, né dans des circonstances douteuses d'une mère qui n'a pas survécu à l'accouchement, puis élevé dans des circonstances abominables dans une institution qui exploite plus les pauvres qu'elle ne leur offre une vie décente. Puis, l'apprentissage auprès d'un croque-mort avec des préjugés tels contre son employé qu'il ne voit pas à quel point le gamin est la victime de tous ceux qui' l'entourent, et enfin l'arrivée à la grande ville d'Oliver qui s'est enfui, et qui se retrouve confronté à deux mondes: celui du crime qui semble être la destinée de tous les destitués, et l'autre, celui de la bourgeoisie, vers la quelle aussi bien le hasard que la vérité de sa naissance le poussent...
Les décors sont superbes, la photographie de Glen McWilliams aussi: souvent nocturne, elle profite à fond des textures présentes, le bois des poutres, les briques, les fumées... C'est de l'excellent cinéma de studio, arrivé à son apogée. Lloyd, on le connaît, ne va pas s'amuser à changer Dickens, et il livre un film au scénario aussi direct, linéaire et chronologique que possible, en profitant au maximum de sa star de 8 ans, qui se livre physiquement et avec déjà un solide métier. Il a eu, il est vrai, un excellent professeur... Autour de Jackie, on reconnaîtra bien sur le grand George Siegmann, qui fait un costaud des plus convaincants, la grande Gladys Brockwell, qui jouait si souvent les femmes déchues, et qui trouve un de ses plus beaux rôles avec Nancy, la prostituée au grand coeur. ...Et puis il y a Chaney.
C'est un de ses grands rôles, mais il y a parfois une confusion de nos jours: il ne fait hélas pas imaginer que Chaney ait été ici en quelque façon la star. Il était encore, après tout, un acteur de composition qui, étant sans contrat, passait d'une compagnie à l'autre au gré des apparitions. Pour un Blizzard (The penalty, 1920), combien de Fagin, combien de rôles mémorables certes, mais de second plan? Il fallait attendre The hunchback of Notre-Dame (1923), puis surtout The phantom of the opera (1925) pour qu'il devienne enfin une valeur sure. En attendant, son Fagin est splendide, veule à souhait, totalement convaincant en professeur du crime et décidément très ambigu, l'acteur ayant eu en plus le bon goût de débarrasser le personnage de tout ce qui renvoyait au judaïsme selon Dickens.
Que le film soit une adaptation sage mais réussie, dans l'ombre de Griffith auquel Lloyd fait souvent penser ici, c'est indéniable. C'était une oeuvre de prestige qui a parfaitement rempli son contrat, mais pour un travail d'illustration, c'est plus que joliment fait...C'est 'un des meilleurs films muets de son auteur, qui en était fier jusqu'à la fin de sa vie.