Ce film fait partie d'une trilogie consacrée à la mort et est clairement basé sur le massacre au lycée Columbine High School, qui a eu lieu en avril 1999 dans le Colorado. Le lycée où ont lieu les événements ici est situé lui dans l'Oregon, comme on peut le déduire en étant attentif aux petits détails du décor, et c'est l'une des nombreuses qualités de cette oeuvre intrigante de nous en laisser justement le temps. Plutôt qu'une intrigue le film a un principe, celui de s'attacher à un certain nombre de personnages lors d'une journée ordinaire, tous vus à travers une demi-heure environ, et de revenir à certains moments-clés, qui seront aperçus selon plusieurs angles. Le résultat est un film d'une lisibilité absolue, et d'une franchise choquante; frustrés par leur sentiment d'être les victimes de tout, des adultes, de leurs camarades et du système scolaire, deux adolescents ont planifié une attaque en règle de leur lycée, et mettent leur plan à exécution...
C'est l'anti-Bowling for Columbine, le film de Michael Moore qui a à mon sens gâché une noble cause en laissant son auteur-intervieweur se placer systématiquement en vedette et vendre sa camelote en permanence, au mépris de la vérité le plus souvent. Le parti-pris de laisser la parole aux ados, tous interprétés par d'authentiques lycéens, dans leur lycée, donne ici l'impression d'assister à une vraie journée, d'autant que Van Sant a utilisé des plans-séquences et du matériel de vidéo légère. A aucune moment, le cinéaste n'intervient ou ne fait intervenir quelqu'un pour nous asséner une quelconque interprétation des faits, ils nous sont livrés dans toute leur horreur, et la violence brute et sèche du film évite aussi de reproduire les aspects les plus spectaculaires de Columbine: vous arriverez à ce film tel que vous êtes et en repartirez avec votre propre libre arbitre.
...Typiquement, on a accusé le film de provoquer les jeunes à se transformer en tueurs, puisque un assassin adolescent a tué des camarades 17 jours après l'avoir visionné. J'ai vu ce film trois fois, je n'ai encore tué personne. On notera que la plupart des gens qui se parlent dans le film font des plans d'avenir, que ce soit 'l'année prochaine, à l'université', ou 'ce soir au concert'... L'impression généralisée va à l'encontre de ce que la NRA et autres officines d'extrême droite disent du système éducatif public, les jeunes sont décents dans l'ensemble, tout au plus ont-il tendance à décharger leur rancoeur de façon verbale ou parfois un peu plus physique (L'un des futurs tueurs subit des vexations en cours). La vie du lycée y est détaillée avec une véracité tranquille qui se retourne contre le spectateur lorsque, comme si c'était là aussi dans la norme, une jeune fille se retrouve tuée à bout portant, la première d'une série de morts...
Quant au titre, outre le fait qu'il renvoie à une série d'allusions animalières (Le jeune John, sympathique blondinet, porte un T-Shirt avec le minotaure, il caresse un chien, etc...), il n'est pas comme on l'a dit une allusion au parti républicain dont l'animal est le symbole, mais plutôt une allusion au fait que le problème des ados tueurs est un phénomène aujourd'hui qui prend toute la place, mais dont personne ne va débattre. Comme si personne ne semblait gêné qu'il y ait un éléphant dans la pièce.