On n'a plus à présenter ces aventures du Coyote (Doté, lui, d'un nom, contrairement à son comparse et antagoniste, l'oiseau "coureur de routes", auquel les Français, avides de simplification, ont donné un nom idiot, et dont ils ont cru devoir faire le héros, prouvant qu'ils n'ont, décidément, et selon l'expression consacrée, "rien compris au film"), qui fait preuve de cartoon en cartoon, de façon immuable, d'une ingéniosité toujours plus hallucinante, dans le but qu'il n'atteindra jamais: attraper cet oiseau de malheur...
Les films, tous réalisés jusqu'à son départ de WB par Chuck Jones, et scénarisés au début par son complice Michael Maltese, fonctionnent tous sur un canevas établi par celui-ci, le premier, et le seul à être sorti dans les années 40. En voici les principes:
On commence par présenter dans un arrêt sur images, en latin (de cuisine), les deux animaux: Coyote (Carnivorous Vulgaris) et Road-runner (Accelerati Indredibilis). Souvent reprises au début, ces pseudo-appellations scientifiques connaîtront des variantes...
Les deux animaux habitent dans les déserts du Sud-Ouest, et les décors de Maurice Noble, d'abord assez détaillés, vont être de plus en plus stylisés, jusqu'à devenir des lignes et des tâches de couleurs sans formes. Maurice Noble avait toute la confiance de Jones, qui l'a non seulement encouragé au début de leur collaboration à s'affranchir du réalisme, il lui a aussi souvent confié la co-direction de ses films.
Les deux protagonistes ne parlent pas. L'oiseau lâche un Beep beep de temps à autre, mais le coyote, s'il doit s'exprimer, utilise des pancartes. Ce qui arrive parfois à l'oiseau, comme ici, lorsque de façon totalement illogique, il porte une pancarte qui explique qu'il ne pouvait pas tomber dans un piège du coyote, car il ne sait pas lire... Il le refera d'ailleurs avec une variante dès le deuxième film du lot, en 1951.
Chaque gag possède sa dynamique propre, et sa durée aussi. S'il n'y a besoin que de six secondes, on n'en aura pas plus. Il n'y a que peu de suivi, et chaque gag se termine par un court fondu au noir, sans qu'on puisse être averti des conséquences des explosions, chutes, accidents et autres avanies subies par le coyote.
Celui-ci est finalement l'image même de l'humanité fiévreuse attendant des lendemains meilleurs. Les échecs répétés ne le décourageront pas, et il élabore parfois de façon impressionnante des plans délirants, dont les préparatifs sont souvent détaillés, avec des plans des colis reçus par la poste le plus souvent en provenance de la corporation ACME. Ici, un costume de superman, qui ne lui va pas, et va lui occasionner une chute inévitable.
A chaque fois que c'est possible, le film escamote les gags, laissés hors champ, car ils sont la conséquence logique de ce qui précède. Ce qui veut dire que le coyote n'a besoin que de lui-même pour échouer, et ça le spectateur l'attend...
La logique est illogique, ainsi en est-il de la fameuse route sur laquelle on ajoute un panneau peint qui la prolonge, pour cacher un virage par exemple. la fausse route peinte se transforme immédiatement pour l'oiseau en une vraie route...
La logique revient en boomerang, et si le coyote décide de suivre l'oiseau, il va se précipiter dans une toile peinte. Ou encore, il va subir les effets du monde physique: gravité, explosions, etc... C'est d'ailleurs une technique, appelée le "topping": chaque gag est drôle en soi, mais il arrive souvent qu'un gag occasionne un deuxième gag, sorte de cerise sur le gâteau, un "topper", soit un gag à mettre par-dessus un autre gag. Avec le temps, Maltese fournira de plus en plus de toppers, voire des toppers sur toppers...
Enfin, ne jamais oublier de rester neutre, à froid: un motif récurrent de ces films est la chute vertigineuse filmée en plongée depuis les hauteurs d'un canyon, qui se termine immanquablement par un simple nuage de poussière anonyme, qu'à tout prendre on peut interpréter comme un symbole ironique de notre condition à tous... L'image reviendra de film en film.
Enfin, ce film réjouissant établit une bonne fois pour toutes qu'un nombre conséquent de gags élaborés est nécessaire, mais pas trop: il y en a onze, ce qui fait pile poil les sept minutes requises du film.
Et sinon, l'impeccable timing du metteur en scène, son don pour la mise en valeur de la réaction (Ce que les Anglo-saxons qui se sont penchés sur la mécanique du gag appellent acting-reacting), et un graphisme à son apogée, avant que Jones ne se perde dans une course à l'abstraction qui va enlaidir son dessin, font le reste...
Sinon, pour finir sur une note didactique: le Roadrunner, en Français, est un géocoucou. Voilà qui est instructif.




