C'est l'avant-dernier film de la réalisatrice Américano-Islandaise, décédée l'an dernier, et il donne furieusement envie de s'intéresser à son oeuvre: il y est question de la remise en question d'une femme, une fois passé le cap de la quarantaine, la "femme nue" du titre étant à l'exception d'une courte apparition de Karin Viard en naïade ravie, à prendre au sens symbolique et figuré... Lulu (Version courte de Lucie) s'est en effet déplacée à St-Gilles Croix de Vie pour un entretien d'embauche. Celui-ci est mi-comique, mi-tragique, car Lulu n'est absolument pas à l'aise, et sa gaucherie lui garantit l'échec complet de la démarche. Mais elle ne rentre pas chez elle, une petite ville du Maine-et-Loire: elle choisit de rater délibérément son train, et reste dans un hôtel. Le lendemain, même chose, même si elle ne fait pas exprès. Le problème, c'est que son mari, pas un rigolo du tout, décide de déclarer le vol de la carte de crédit de son épouse, afin de l'empêcher de dépenser. Elle est donc réduite à dormir dehors... Et va changer sa vie, de façon durable, grâce à trois rencontres.
Adapté d'une bande dessinée d'Etienne Davodeau, le film est bien différent de sa source: d'abord, par sa narration, qui est ici plus frontale. A des interventions extérieures d'un narrateur, Solveig Anspach substitue un point de vue silencieux, souvent confondu avec celui de Lucie, mais pas systématiquement; ainsi, lorsque la soeur (Marie Payen) et la fille (Solène Rigot) de l'héroïne débarquent en Vendée, et se cachent pour observer Lulu vivre sa nouvelle vie, on a une nouvelle perspective. Dans la bande dessinée, ce point de vue est apporté par un homme, un ami de Lulu, alors que l'irruption de ces deux femmes si proches d'elles dans le décor va nous permettre une bien meilleure vision du personnage.
Car ce qui ressort des aventures de Lucie, c'est l'idée qu'elle a raté sa vie de femme: les trois actes du film nous le montrent avec douceur. Elle rencontre un homme (Bouli Lanners) qui va l'aimer, plus et mieux en tout cas que son propre mari, le brutal Serge (Patrick Ligardes); elle va ensuite se lier d'amitié dans des circonstances comiques avec une vieille dame, Marthe (Claude Gensac) qui elle a fait dans son passé des choix plus téméraires qu'elle, et elle va venir en aide à Virginie (Nina Meurisse), la serveuse martyrisée par sa patronne, d'un petit café de la côte. Bref elle va non seulement se prendre en charge, elle qui a surtout élevé trois enfants, mais pas fait grand chose d'autre de notable, mais elle va aussi essayer de changer la vie des autres. Elle va découvrir l'amour, le sens de l'amitié, et ce qui l'attache à ses enfants... Mais pas à son mari.
Bref, ce Lulu femme nue, tout en délicatesse, a tout du joli film automnal qui se transforme sans crier gare en leçon de vie, fragile mais précieuse. La réalisatrice a l'oeil, le ton juste, la distance et la rigueur nécessaire, et transforme ce qui aurait pu être une drôle de salade misérabiliste, comme ces téléfilms dans lesquels les acteurs Français s'aboient dessus en permanence en lâchant des "putains" toutes les trois secondes, en une expérience de vie valide et gentiment burlesque. Karin Viard est fantastique. Tous les autres acteurs aussi, y compris les ados... C'est suffisamment rare pour être souligné, et pour regretter le décès d'une réalisatrice qui comptait.