Breezy (Kay Lenz) est une jeune femme de dix-neuf ans, qui vit en bohémienne au Sud de la Californie. Elle se lève le matin auprès d'un homme qu'elle ne connaît pas vraiment, et transporte sa guitare de lieu en lieu, passant des journées auprès d'amis qui sont des hippies comme elle. Elle a une confiance solide dans l'humanité, y compris après avoir été prise en stop par un vieux salopard qui voulait profiter de la situation. Elle n'a pas vraiment réfléchi à l'avenir, elle l'attend juste en confiance... Ou peut-être en toute inconscience, ça dépend forcément des points de vue.
Frank Harmon (William Holden) est un agent immobilier qui vit dans les hauteurs de Los Angeles. Autrefois marié, il vit seul, volontairement, et tout en ayant des aventures, affiche farouchement sa volonté de rester seul... Quoique il ait un faible de plus en plus prononcé pour une de ses clientes avec laquelle il a une relation. Mais il a tout fait pour bien faire comprendre que cette relation n'était pas du genre monogame, bref, il a freiné de toutes ses forces... Et Frank, un homme d'âge moyen comme on dit pudiquement, n'est certes pas du genre à fréquenter les jeunes hippies, encore moins à en accueillir un ou une chez lui.
Le film est donc l'histoire du rapprochement de l'une et de l'autre, de l'irrésistible aventure entre un homme qui est partagé entre se réjouir de l'aubaine, et fuir à toutes jambes les complications (Et les railleries de ses amis en sus), et une jeune femme qui ne pense pas à l'avenir, a assez peu de jugeote, mais qui sait aimer. Et puis, pensez, elle n'a jamais vu la mer...
On commence par le point de vue de Breezy (Edith Breezerman de son vrai nom): on comprend en très peu de temps son mode de vie, qui est assez cliché en ces années post-psychédéliques, et d'ailleurs ça nous fait craindre le pire pour le film. Mais Clint Eastwood, qui ne juge pas le mouvement hippie, ne tombe pas dans les écueils habituels, de nous montrer des utopistes pris à leur propre piège, dans les affres de la drogue jusqu'au cou, etc... Breezy est saine... Et elle est surtout jeune. C'est un taxi qui rapproche les deux héros: Breezy, tentant d'échapper à son automobiliste indélicat, a appelé un taxi, mais il ne s'arrête pas pour elle: il vient chercher une conquête d'un soir chez Frank. La jeune femme reste à l'écart, et une fois la belle dame blonde partie dans son taxi, Breezy demande à Frank de l'amener en ville. Les conversations entre eux sont au début un peu malaisées, car ils n'ont pas beaucoup en commun. Mais le film va tisser des liens de fortune: une guitare oubliée dans une voiture, un chien qu'il fait secourir... Et l'inévitable va arriver.
Pour le reste du film, c'est le point de vue de Frank qui prévaut. Tant mieux d'une certaine façon, en cette fin 1973 (Le film a été tourné une année auparavant, mais laissé de côté), les hippies sont passés de mode, et les braves gens comme Frank Harmon ont continué à vivre comme avant... Mais Frank, c'est pour moi un auto-portrait cinglant de Clint Eastwood. On n'est d'ailleurs pas loin, dans son mode de vie (Solitaire, pas d'attaches, mais profondément replié sur son charme naturel, et en tirant tous les bénéfices), du héros de Play Misty for me; c'est curieux qu'il n'ait pas interprété le rôle lui-même, lui qui va sans scrupules accumuler les conquêtes sur pellicule, au risque de devenir un serial détourneur de mineures! Mais peut-être, justement, le rôle était-il trop proche de lui!
Breezy, c'est la jeunesse, une chance-éclair à prendre tant qu'elle est là de retourner, pour Frank qui a sans doute tout gâché dans sa vie, à des sensations disparues, avant qu'il ne soit trop tard. Tout un symbole, joué par une actrice qui n'a aucun mal à nous faire croire à son insouciance juvénile. Mais Breezy est loin d'être l'héroïne du film qui porte son nom.
Tourné dans un automne Californien absolument superbe, avec le style économique et gentiment romantique du Clint Eastwood des grands jours, aux frontières de la chronique et de la comédie, Breezy est une belle méditation sur l'âge face au temps qui passe, en même temps qu'une étude sans concession d'un rapprochement des contraires, deux thèmes auxquels Eastwood reviendra sans cesse de multiples façons. C'est la première fois que le metteur en scène choisit de ne pas être acteur, et ce sont souvent les meilleurs de ses films qui en résulteront. A commencer par celui-ci...