La série des courts métrages consacrés à la guerre de Sécession, nommée simplement « Civil war» aux Etats-Unis dans la mesure où ils n’en connurent qu’une, est inaugurée en septembre 1909 avec In old Kentucky, un film au scénario hautement symbolique : Selon la filmographie établie par Patrick Brion, « La déclaration de la guerre civile déchire une famille dont les deux fils finiront pourtant par se réconcilier, après avoir combattu dans des camps opposés. » Le choix du Kentucky était dramatiquement important, puisqu’il s’agissait durant la guerre civile d’un état neutre, un état du sud ayant choisi de ne pas faire sécession par prudence, mais dont de nombreux habitants prendront la décision de rallier l’un ou l’autre des deux camps. Le choix permettait à Griffith de conter une histoire qui renvoie à l’âme Américaine avant tout, mais avait une résonnance familiale aussi, puisque le metteur en scène était natif du Kentucky, d’une famille dont le coeur, c’est bien connu, penchait franchement du coté de la confédération, son père, Jacob ayant combattu aux cotés du Général Lee. Pourtant, si les films sont nombreux à revenir à cette guerre, il me semble que c’est moins par le coté personnel que par le coté dramatique que Griffith s’est attaché à revenir souvent à la guerre. Après tout, pour Griffith, c’était un terrain rêvé : les histoires de l’ouest Américain et des Indiens l’intéressaient, mais n’avaient pas ce coté fédérateur et historique qu’il recherchait, dans la mesure où il ne les datait jamais, à plus forte raison s’il devait en critiquer les protagonistes blancs : on peut considérer qu’ils étaient à la fois contemporains et historiques. Les sujets bibliques ou renaissance l’intéressaient pour pouvoir faire concurrence aux Européens, mais ils sont bien médiocres, et académiques aujourd’hui ; non, le sujet de la guerre civile était cet élément dramatiquement rassembleur dont Griffith avait besoin pour emporter l’adhésion du public, et comme il tournait des œuvres distribuées sur tout le territoire, il pouvait privilégier les deux cotés alternativement, afin de ne pas s’aliéner le public de la Biograph. Au moment de voir ces petits films aujourd’hui, il faut se rappeler que dans de nombreuses familles, on avait des anecdotes de la guerre civile, cocasses, patriotiques, authentiques ou romancées, vécues ou rapportées par un tiers. Ce sont toutes ces anecdotes qui vont former le matériau de base de ces courts métrages, qui une fois rassemblées représentent une assez bonne vue d’ensemble de l’héritage de la Guerre de sécession, finie 45 ans plus tôt, en ce début du 20e siècle.
L’année 1910 est d’autant plus riche en films consacrés à la guerre civile que le public suit. La plupart des films permettent à Griffith, en jouant sur les cordes universellement sensibles de l’honneur, de la lâcheté, de la perte d’un membre de la famille, d’éviter de prendre ouvertement parti pour un camp ou pour l’autre. Tous ces films reposent sur le savoir-faire désormais solide de Griffith, de ses acteurs et de Billy Bitzer, et utilisent à merveille les ressources des décors naturels du New Jersey, en particuliers les collines qui permettent systématiquement à Griffith de donner du relief à ses compositions. La guerre y est présentée comme une fatalité, un déchirement, et on le voit, les thèmes et les tendances qui seront à la base des ressorts dramatiques de Birth of a nation sont déjà là, sauf le racisme, sinon dans la représentation occasionnellement paternaliste des esclaves.
Aucun risque avec ce premier exemple: il est fermement situé du côté nordiste! Il est d’une richesse incroyable pour un court métrage d’une bobine, qui bat le rappel d’un grand nombre de thèmes chers à l’auteur, tout en utilisant à merveille les ressources de l’évocation folklorique de la guerre civile ; toutefois, il ne s’agit pas d’une leçon d’histoire: dans un état du sud de l’Union, un jeune père quitte sa famille pour partir à la guerre, avec son régiment Nordiste. Une fois le père parti, les filles reçoivent la visite d’un soldat sudiste en fuite, qui leur demande asile; la plus petite le cache et ce faisant le sauve. Plus tard, au moment de tuer ou d’arrêter le père de la petite, le soldat sudiste se rappelle son geste, et fait autant pour le Nordiste. Le message du film est clair: c’est la même nation; le fait que ce soit une jeune fille qui prenne la décision importante permet de faire le lien entre la jeune génération et le refus de la guerre ; symboliquement, la jeune fille anticipe sur la période d’après-guerre. Le film regorge de moments Griffithiens, du départ à la guerre vécu par une famille rassemblée dans un plan à la composition très étudiée, au siège de la maison dans laquelle le père s’est réfugié avec sa fille. La famille, une fois de plus, est au cœur du film, ici symbolique de l’unité de la nation fragilisée par la sécession. Le point de vue est partagé entre le nord et le sud, la petite fille se plaçant au-dessus du clivage… Elle est aussi garante de certains codes moraux, même si le foyer dans lequel elle habite fait l'objet de plusieurs intrusions, sur un mode déjà abondamment pratiqué par le metteur en scène, et qui allait continuer à se développer.