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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 09:45

Un monument: adapté d'un roman de Jumpei Gomikawa, le film de Kobayashi met en scène Kaji, un jeune idéaliste mis à l'épreuve de la violence et de l'inhumanité, et étudie les conditions douloureuses de l'éveil de son activisme, qui le conduira à sa perte... Pour ce faire, il adopte une structure en trois parties, qui n'est pas éloignée du mode opérationnel de Peter Jackson pour ses adaptations de Tolkien! Le tournage des trois épisodes a en effet été réalisé en séquence, et si chaque partie a été montrée indépendamment des deux autres, le tout est très cohérent. Le film-fleuve (9 heures et 30 minutes tout compris) a d'ailleurs parfois été montré en un seul service au Japon. On peut noter un aspect peu courant dans ce genre de production: tout y tourne autour d'un personnage, dont le point de vue est l'ancrage permanent choisi par Kobayashi. Bien sur, c'est le cas dans le roman aussi, mais il y a une raison importante pour que le metteur en scène ait ainsi choisi cette assimilation à un "je", interprété par Tatsuya Nakadai (Avec génie, mais cela va sans dire!): cette histoire, et les interrogations qui s'y trouvent, Kobayashi l'a lui-même, du moins partiellement, vécue.

Première partie: Il n'y a pas de plus grand amour (Janvier 1959)

Mandchourie, 1943: Kaji, un jeune pacifiste, sait qu'il va lui falloir partir pour l'armée. Non seulement il désapprouve l'idée de se trouver séparé de sa petite amie, Michiko, mais en plus il est totalement en contradiction avec les idées du Japon impérial, et l'idéologie empreinte de fascisme que la propagande gouvernementale répète à l'envi. Il trouve un compromis: d'une part, il accepte de faire son service en prenant la direction civile d'un camp de prisonniers mandchous; il se dit qu'en faisant cela il pourra peut-être réussir à tempérer la dureté des militaires Japonais vis-à-vis des prisonniers; d'autre part, il se marie avec Michiko, qui peut en effet l'accompagner... Mais la confrontation sera difficile, non seulement avec l'armée qui lui en fera baver, mais aussi avec les prisonniers Chinois, les gardes Japonais comme Corréens, tous plus ou moins corrompus, voire les prostituées Mandchoues utilisées par l'armée Japonaise pour calmer les prisonniers... Kaji a choisi cette option pour éviter l'armée, mais ce sursis ne durera pas...

Deuxième partie: Le chemin de l'éternité (Novembre 1959)

On retrouve Kaji, enrôlé contre son gré dans les forces armées en déroute du Japon qui perd inéluctablement la guerre, mais refuse de l'admettre. Il se retrouve de fait au confluent de trois grands motifs: premièrement, son idéalisme, particulièrement mis à mal alors qu'il est au sein de cette magnifique machine à faire des fascistes qu'est l'armée; son voeu farouche de survivre coûte que coûte, afin d'honorer une promesse faite à son épouse; enfin, l'irrésistible besoin de protéger les autres, quoi qu'il advienne... Le deuxième film est essentiellement consacré à l'entraînement, et à l'abrutissement par la hiérarchie du soldat Japonais, prié de comprendre que même entre deux soldats de même rang, il subsiste un ordre naturel: le plus vieux l'emporte! Ce qui lui donne le droit de faire subir un enfer à l'autre... Alors bien sur, entre simples soldats d'une part, et officiers de l'autre, la partie est jouée d'avance... Kaji est de plus en plus attiré par le socialisme, ce qui rend sa tâche compliquée, lorsqu'à la fin de cet épisode il doit mener une trentaine de recrues à l'assaut contre l'Armée rouge...

Troisième partie: La prière du soldat (Janvier 1961)

Une fois passée la débâcle, la déroute, Kaji abandonne l'idée de retrouver sa position de soldat, et entraîne un certain nombre d'autres Japonais coincés comme lui en Mandchourie occupés par les Soviétiques... Et il reprend sa quête (Retrouver son épouse) en essayant tant bien que mal de conserver son humanisme pourtant sérieusement mis à mal... Sa philosophie est simple: avancer, car Michiko est au bout du chemin, emmener avec lui (Et protéger) tous ceux qui se retrouvent dans sa quête, mais ne jamais se compromettre. Comme dans le reste du film, c'est surtout contre les militaires Japonais que Kaji doit se battre, ou contre ceux qui vont se compromettre au détriment des autres. Ca ne l'empêche pas, une fois fait prisonnier, de constater que les Russes ne sont pas les idéalistes humanistes et libertaires qu'il attendait... 

On nous montre les mines de fer de Mandchourie, les camps de prisonniers ou de militaires (la même chose), les champs de blé, les forêts, les champs de bataille du conflité Russo-Japonais: abandonnant la peinture du Japon urbain d'après-guerre qui avait fait le succès de ses premiers films, Kobayashi impose un devoir de mémoire à ses compatriotes, dans un film qui oppose un idéaliste, pacifiste et humaniste, qui n'a de fait aucune idéologie, juste une sorte de réflexe d'humanité, qui refuse systématiquement de faire ce qu'il estime mal. On le voit dès le début, à travers sa relation avec Michiko; avant le mariage, il se refuse à profiter de la situation et de coucher avec elle, même s'il en crève d'envie, car ce serait cruel de le faire alors qu'il peut partir à l'armée à n'importe quel moment...  Tout va être, chez Kaji, sacrifice et réflexion, mais personne ne lui dictera jamais sa conduite. Le premier volet est sans doute le plus réussi des trois, dans a mesure ou il semble y avoir un espoir pour Kaji et ses idées... Le deuxième volet est moins magistral, un peu trop redondant, mais Kobayashi souhaitait vaincre par K.O. et assène les coups avec une violence rare... Et d'est l'armée qui prend. Bien sur, l'armée Japonaise de 1940 n'est sans doute pas la même que celle d'aujourd'hui... Bien sur, on nous dira que cette vision de l'armée est révolue, etc etc etc... Le but de Kobayashi est de montrer que de toute façon la fonction même de l'armée est nulle et non avenue, car la machinerie y fonctionne à vide. La troisième partie nous montre une armée qui n'a plus de buts, et qui semble destinée à s'auto-détruire, alors que le cesser-le-feu a déjà été prononcé. 
C'est rare de voir, comme dans ce film, le conflit de ce point de vue: on a généralement des images du conflit Américano-Japonais, mais la condition de l'homme nous rappelle que le petite empire du soleil levant s'est aussi mouillé en Asie du sud-est, défendant "ses" territoires en Mandchourie contre les avancées de l'armée rouge. Et Kaji s'en redn bien compte, autour de lui, le conflité est essentiellement idéologique; il s'agit non pas de défendre les populations, qu'elles soient chinoises ou japonaises. L'idée est d'empêcher les idéaux démocratiques et/ou communistes (Le film nous montre bien que les deux ne sont as toujours compatibles, Kobayashi évitant aussi bien l'angélisme que la naïveté) d'interférer avec les traditions Nipponnes proto-fascistes... Et si Kaji découvrira qu'il n'y pas lieu de se jeter dans les bras des Russes, il sera amené à admettre que de deux mots il fait parfois choisir le moindre... Et se rendra aux Russes.
 
La narration, centrée autour d'un seul et même personnage, est faite de longs passages, entrecoupés d'anecdotes. le montage, parfois, se fait plus bref, avec quelques scènes jamais résolues. Une grande partie du combat, de l'intrigue, se fait, ne l'oublions pas, dans la tête du personnage principal. Tout dans le film nous fait adopter le point de vue de Kaji, ses tentatives, ses espoirs... Et ses échecs. Tuer un homme, pour lui, y compris en guerre, est une compromission inacceptable, mais il doit s'y résoudre...
 
S'il est un motif de mise en scène qui domine, ce sont les compositions de ce magnifique écran large (C'est du "Grand Scope", une version peu coûteuse du système anamorphique en vigueur dans beaucoup de pays), au centre desquels la tête de Tastuya Nakadai domine. Le film est tourné très majoritairement en extérieurs, et l'évolution des personnages est principalement une régression, vers l'hiver. Mais alors que la toute première scène de la première partie a été elle aussi tournée en hiver, dans un ville, l'hiver de la troisième partie est inhumain et invivable. Kaji s'y retrouve seul, tentant par tous les moyens de rejoindre Michiko, s'enfonçant plus avant dans la neige, le froid et la faim. 
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Published by François Massarelli - dans Masaki Kobayashi