Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

19 octobre 2016 3 19 /10 /octobre /2016 15:50

Régulièrement cité parmi les films préférés, dans les listes des meilleurs films de tous les temps, et recueillant partout où il est montré une adhésion qui contraste singulièrement avec le peu de crédit qu'on lui a apporté à sa sortie, voici un film hors normes, une oeuvre unique en tous sens, seul film de son réalisateur, seul film de son genre aussi, un mélange rare de film noir, de chronique symbolique, et de vision onirique. C'est une de ces chroniques de la grande dépression comme il en existe beaucoup, mais elle tranche en permanence sur le réalisme, fut-il baroque, des autres films. Loin donc de Our daily bread, de The grapes of wrath, s'il fallait choisir un film à lui comparer, peut-être pourrait-on essayer avec Modern times de Chaplin: même tentation de faire un film sur une période à partir de carton-pâte assumé, même sentiment d'avoir devant soi les images définitives, une vision aussi inventive que paradoxalement authentique!

Cette "nuit du chasseur" raconte la cavale de deux enfants durant les années 30: leur père a volé et tué afin de leur garantir un avenir, mais il doit cacher l'argent avant de se faire arrêter. Une fois en prison, il partage sa cellule avec un fou dangereux; bien qu'arrêté pour des broutilles, Harry Powell (Robert Mitchum) est un serial killer, dont la spécialité est de supprimer des veuves avant de partir avec leur argent. Il se présente aussi comme un prédicateur auto-ordonné, ce que ses futures victimes apprécient particulièrement. Une fois libéré, il se rend chez la veuve de celui dont il a partagé les deniers jours, va vite la supprime, et comprenant que les deux enfants du couple sont la clé de son accession au magot, il va les poursuivre pendant qu'ils prennent la fuite sur une barque de fortune, sur la rivière Ohio. Ils vont trouver refuge chez une dame qui voue sa vie entière à recueillir des enfants en fuite, Rachel Cooper (Lillian Gish)... Et Harry Powell n'a qu'à bien se tenir!

Pourtant, ce film n'aurait pas du exister: à la base, trois visions se retrouvent: celles de James Agee, écrivain, cinéphile, écrivain, critique et scénariste, de Paul Gregory, producteur, qui avait lu le roman de Davis Grubb, et bien sur, Charles Laughton, l'ami de Gregory, qui saisissit avec cette production la chance de sa vie, celle de tourner un film selon ses propres termes, dans lequel l'acteur mythique choisissait de ne pas apparaître. Gregory voulait transposer à l'acran une intrigue riche, à la fois noire et empreinte du récit du parcours d'un enfant qui vivait l'enfer avant de pouvoir trouver à grandir dans de meilleures conditions. Agee, adaptant une histoire située sur la rivière Ohio, a laissé ses souvenirs du sud Profond se matérialiser sur l'écran, transfigurés par le style inattendu de Laughton: celui-ci est en effet arrivé au projet avec une idée très précise de ce qu'il voulait obtenir: un retour au cinéma muet, celui de Griffith, mais qui ne négligeait pas d'emprunter intelligemment aux meilleures sources cinématographiques comme picturales. Le film emprunte donc à Griffith (Dont deux anciens collaborateurs sont du reste présents), mais aussi à King Kong, et le cinéma d'épouvante des années 30 n'est jamais loin. Les techniques de trompe l'oeil utilisées par Murnau refont leur apparition... Laughton s'est enfermé dans une salle de projection pour y engloutir des kilomètres de cinéma muet avant de faire le film, et le résultat est à la hauteur...

Faisant du point de vue de deux enfants, surtout soyons juste celui du 'grand frère' John (Billy Chapin), le fil conducteur de son histoire, Laughton brouille savamment les pistes: il ne s'agira pas ici de livrer un film pour la jeunesse, loin s'en faut. Dès le départ, d'ailleurs, le metteur en scène choisit de nous perdre, en nous montrant d'abord des enfants qui écoutent sagement une femme leur lire avec douceur des morceaux choisis, d'une sagesse et d'un bon sens qui n'ont rien de très sophistiqué, de la bible...On ne le sait pas encore, mais c'est notre première rencontre avec Rachel, qui nous met ainsi en garde contre les dangereux hypocrites, des loups qui viendront déguisés en agneau. Et justement, la caméra plonge sur un champ inondé de soleil, et se concentre sur un enfant qui joue à cache-cache et s'apprête à se cacher dans une grange... le film oscille constamment entre l'univers de l'enfance, mais une enfance malheureuse, malmenée, confrontée au crime et à la nécessité de grandir trop vite, car il faut d'abord et avant tout survivre, et la vision d'une humanité adulte et corrompue, qui est incarnée par l'affreux Powell, et sa vision tordue et simpliste de la religion. Je ne parlerai pas de ses tatouages, l'anecdote est très connue...

A Powell, Laughton oppose Rachel Cooper, et a confié le rôle à Lillian Gish. La belle actroce du muet, désormais sexagénaire, s'approprie tout de suite le rôle de la dame d'un âge certain, et en fait l'une de ses plus belles caractérisations... Elle est un pendant bénéfique à Powell, mais elle partage la même vision personnelle de la religion. Une scène magnifique à voir (Stanley Cortez est un immense chef-opérateur, et le prouve en  durant 93 minutes) appuie justement sur cet aspect: tous deux sont face à face, prêts à s'affronter. Et ils chantent le même hymne... Sauf que Rachel n'oublie pas d'y citer Jésus. Mais Rachel a "adapté" la religion (Dans des dialogues savoureux) dans le but de protéger les enfants,, contrairement à Powell qui lui l'adapte pour s'enrichir! Et elle le comprend tel qu'il est: un homme qui sacralise le meurtre (Dans des compositions superbes, qui font froid dans le dos, comme lorsqu'il supprime Willa Harper, le cadre ressemble à une image pieuse), mis qui s'avère être un animal parmi tant d'autres; le film contient beaucoup d'images d'animaux, là aussi composées de façon très distinctive, mais celui qui grogne, aboie ou couine le plus fort, c'est bien sur Harry Powell.

Peinture de l'enfer d'être un enfant à part (Autobiographie?), merveilleux livre d'image aux connotations vénéneuses, dans lequel un homme tue des femmes qui ne demandent que ça, et un petit bout de bonne femme tient tête à une créature diabolique avec son caractère bien trempé, et son gros flingue, un film muet et parlant à la fois, dans lequel le metteur en scène a tout donné de lui-même, se doutant peut-être qu'il n'aurait pas d'autre chance. Dirigeant ses acteurs à la voix, il obtient le meilleur de chacun, et donne à la grande actrice qu'il a lui-même personnellement choisie, l'un de ses plus beaux rôles. Je ne vois là aucun défait, que de la beauté. Je dépose les armes: c'est un chef d'oeuvre, point.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Noir Lillian Gish Criterion