L’un de nombreux films visant à s’intéresser à l’univers des Indiens, ou des Américains Natifs comme on est supposé dire aujourd’hui, ce qui peut étonner sans doute tant l’image de Griffith aujourd’hui est attachée solidement à son racisme. Pourtant, rien qu’en 1909, il sort The mended Lute, The Indian runner’s romance, Comata the Sioux, et ce Redman’s view; la plupart d’entre eux ont été tournés à l’été 1909, et Griffith a profité du beau temps de la nouvelle Angleterre, mais ce film est différent, la nature y est moins festive, plus menaçante.
Il nous conte l’histoire d’un exode, d’une tribu indienne chassée par un parti de colons grossiers et supérieurs en nombre. A cette tragédie, qui n’aura pas de résolution, Griffith ajoute le drame intime de l’un des guerriers, qui voit partir sa bien aimée, gardée par les blancs afin de servir de domestique, et sans doute plus si affinités. Après avoir laissé faire, poussé par ses pairs qui étaient conscients de l’impossibilité de la lutte face à l’homme blanc, le jeune homme est revenu et a plaidé sa cause. Grâce à la magnanimité d’un des blancs, la jeune femme lui est revenue, à temps pour se recueillir sur la dépouille mortelle de son père, le vieux chef mort durant l’exode.
L’ouverture du film est sans ambiguïté: l’histoire sera celle des Indiens, et dans un premier temps, seule l’image a droit de cité ; le premier plan nous montre un campement indien, efficacement juché en haut d’une colline, ce qui donne au relief une présence dramatique, tout en étant faux historiquement : ces Indiens auraient installé leur campement dans une vallée. Mais l’utilisation du relief accidenté est l’une des constances de ce film, tout comme celle de la nature : le seul plan de sous-bois Idyllique est le deuxième, il nous conte le flirt de l’héroïne avec le jeune guerrier, au bord d’une source ; une félicité vite démentie par la suite de l’histoire. Le premier intertitre annonce l’arrivée des Blancs, les « Conquérants » nous dit-on; en faits, ils apparaissent, de plus en plus nombreux, à la faveur d’une crête, et très vite ils emplissent l’écran, et pour ne rien arranger ils ont des sales têtes. Bref, des méchants. Lors des pourparlers, bien rapides comme d’habitude, Griffith oppose sciemment la dignité des Indiens à la grossièreté affichée des blancs, dans des plans un peu fouillis : il va falloir du temps avant de bien gérer les plans de foule : ceux-ci sont mal fichus et mal joués. Lors de l’exode, une nouvelle preuve de parti-pris affiché est à glaner dans un intertitre: « La mer devant nous », nous dit Griffith: il a choisi son camp, une bonne fois pour toutes. Les plans concernant la séparation des deux héros sont différents des autres : la ou les plans de foule insistent sur la dignité et la lenteur des Indiens face au malheur, l’action se précipite dès lors qu’on suit l’Indienne tentant de s’échapper, ou son galant tentant de la faire s’évader. Le bon vieux dispositif Griffithien qui consiste à mettre en parallèle un drame intime et une tragédie est déjà en place, pour longtemps (Voir Birth of a nation, Intolerance, Orphans of the Storm, America…). Mais au final du film, on ne s’y trompe pas, le propos du film est d’apporter un éclairage sur les populations Indiennes, en les présentant non comme des sauvages, mais comme une civilisation : on nous gratifie d’une cérémonie funéraire en bonne et due forme. Le plan final fait se rejoindre la tragédie et le drame pour l’instant évité : le jeune couple se recueille, de dos, devant la dépouille mortelle, celle du vieux chef, mais aussi celle des Indiens en général.