The unseen enemy est un de ces thrillers comme Griffith en produisait presque sans réfléchir, avec ses héros assiégés, son héros qui rameutait de l’aide, son téléphone, unique lien entre le dedans et le dehors, et ses moyens de locomotion en pagaille qui servaient à sauver tout le monde. Il ne fait pas exception à la règle: tout le monde est sauvé à la fin. Alors, pourquoi en parler? Sans doute que l’arrivée des Soeurs Gish est un événement suffisant en soi, pourtant il entraîne plus de déception que de satisfaction; non qu’elles jouent mal: ce sont les sœurs Gish, enfin!
Non, c’est plutôt Griffith qui nous déçoit a posteriori. Il croyait dur comme fer que des deux, le génie, c’était Dorothy, pas Lillian, et il s’est employé à donner à Dorothy le beau rôle et des tonnes de choses à faire, et à Lillian, rien ou presque. Cette situation durera quelques mois avant que Griffith ne se rende compte de sa bourde…
Mais n’anticipons pas. Ce film nous conte donc la lamentable histoire de deux jeunes sœurs, orphelines depuis peu, et dont le frère vient apporter une somme d’argent, mise en coffre sous les yeux torves d’une femme de ménage louche… Celle-ci va téléphoner à des bandits de sa connaissance, qui vont profiter du fait que les deux jeunes filles sont seules pour venir dérober l’argent, pendant que les deux filles, apeurées, contactent leur frère par téléphone, pendant qu’elles ont enfermées.
Le dispositif de la maison assiégée est ici complexe, avec d’abord une menace qui vient de la maison elle-même, avec la complicité de la domestique, le déplacement, par rapport au modèle de The lonely Villa, du centre d’intérêt des bandits : les deux sœurs sont dans une pièce et le magot dans la pièce ou sont les bandits; la cerise sur le gâteau, c’est un petit espace par lequel les deux pièces communiquent: il permet aux bandits de passer un bras avec une arme, qui tire en aveugle quelques coups de feu.
Ici, à la vision de ce trou dans le mur dont dépasse une forme phallique (et chargée) se situerait une inévitable lecture Freudienne, mais celle-ci a probablement besoin d’un coup de pouce supplémentaire; retournons en arrière, et ajoutons un personnage: au début du film, les deux jeunes filles sont dehors, et Bobby Harron intervient: il joue le petit ami (Un gentil benêt) de Dorothy. Celle-ci lui refuse un baiser au moment de le voir partir pour ses études, et il s’en va tout penaud. Lors du siège, donc, avec Lillian toute traumatisée qui se réfugie dans ses bras, Dorothy décide de tenter le tout pour le tout, et s’approche du fameux trou dans le mur, lentement, en rassemblant tout son courage. La caméra reste cadrée sur Lillian, ce qui fait que Dorothy dépasse bientôt du cadre. Le plan suivant nous montre l’action élargie, et Dorothy qui s’approche du trou, dans le but de saisir l’arme sans doute, mais le bras surgit brusquement, et elle renonce, apeurée. A ce moment, Griffith coupe et nous montre, deux secondes durant, le gentil fiancé. A la fin du film, les deux amoureux, une fois les filles sauvées, s’échangeront enfin un chaste mais décisif baiser.
Ouf! Le siège d’une maison, nous dit Griffith, n’est pas que l’atteinte à la famille; du reste, avec des parents décédés, une domestique traîtresse, et un frère qui est trop grand pour rester à la maison, cette famille est réduite aux deux jeune filles. Les connotations sexuelles de ce film vont donc particulièrement droit au but, et apportent rétrospectivement à toutes ces scènes de maisons assiégées, d’enfermement et de femmes qui prennent les armes, l’initiative, et le taureau par les cornes une lecture sans ambiguïté. Il est dommage que Griffith n’ait pas eu mieux à faire de Lillian Gish, qui se contente de rester à l’écart pendant la scène de flirt entre Harron et Dorothy, et qui contrairement à sa sœur a peu d’accessoires pour soutenir son jeu; quant on sait l’usage qu’elle saura faire de tout accessoire possible et imaginable dans ses films ultérieurs, c’est vraiment dommage. Mais ce n’est que partie remise…