Trois en un? Entre le mélodrame formidable Forbidden et le baroque et sublime The bitter tea of General Yen, Capra s'essaie en effet à un style qui combine tout ce qu'il sait faire, et qui pour la première fois délivre un message politico-économique certes naïf et idéaliste en diable, mais dont la générosité fait mouche. Et pour ce faire, il choisit non pas un, mais deux héros, deux braves types: Tom Dickson (Walter Huston) est le directeur d'une banque, un homme qui préfère faire son métier en rendant service aux gens car il pense que la banque se nourrit de la bonne santé financière des gens qu'elle aide. De la même façon, il traite ses salariés avec humanité, et refuse les affaires sur lesquelles il peut s'enrichir, mais qui lui donneront mauvaise conscience... Comment s'étonner que, bien qu'il aime tendrement sa femme (Kay Johnson), celle-ci ne se sente délaissée par son mari qui sacrifie tout à sa banque?
De son côté, Matt Brown (Pat O'Brien), bien qu'ancien voyou, est un employé modèle. Il sait qu'il doit tout à son patron, pour lequel il a plus que du respect. Il attend sagement une promotion, mais il aime de toute façon son métier, lui qui fait encore partie des petites mains. Il attend aussi le bon moment pour se marier avec Helen (Constance Cummings), la secrétaire de Dickson. Ils pensent avoir été discrets dans leur idylle, mais tout le monde est au courant à commencer bien sûr par ce brave M. Dickson...
Dans ce contexte propice à la comédie, Riskin et Capra se lancent dans trois intrigues dramatiques différentes, qui vont se télescoper dans une crise comme on en a rarement vues...
1:
La banque est certes en bonne santé mais le conseil d'administration, formé de Dickson et de messieurs nettement moins sympathiques que lui, souhaite faire évoluer la banque vers le gros business en poussant vers une fusion qui mettrait en danger le type de pratiques de bon voisinage souhaitées par Dickson. A la faveur d'un problème dans la vie de celui-ci, les affreux banquiers tentent de pousser leur avantage...
2:
Cluett (Gavin Gordon), un employé, fringant jeune homme un peu séducteur et un peu dandy sur les bords, a tellement brûlé la chandelle par les deux bouts que la pègre le tient. Il accepte de leur donner accès aux coffres, mais lorsque le cambriolage tourne mal, un veilleur de nuit est abattu...
3:
Matt a surpris Mrs Dickson dans les bras de Cluett, et ça le mine. Doit-il intervenir, et leur rappeler que son patron est la crème des hommes, ou se mêler de ce qui le regarde, au risque d'avoir le sentiment de trahir son patron?
Les trois intrigues, en un peu plus de 75 minutes, vont multiplier les passerelles entre elles, depuis l'adultère potentiel qui sera déjoué par Matt, mais qui résultera sur son impossibilité d'avoir un alibi, car bien sûr c'est lui qui sera soupçonné d'avoir ouvert le coffre pour les bandits. Et après le casse, les clients vont tous se précipiter les uns à la suite des autres pour retirer leur argent, mettant sérieusement en danger la position de Dickson, et l'avenir de ses "petits" clients.
Voilà, on y est: Capra nous parle des petits, des sans-grade, de ceux qui économisent sou après sou en ne demandant pas grand chose à personne, mais qui sauront se mobiliser pour leur bienfaiteur. La formule reviendra (on y reconnaît le gros de l'intrigue d'un futur classique, It's a wonderful life, qui sera pris sous un angle très différent malgré tout), et déjà le metteur en scène est galvanisé par ce défi qu'il s'est fixé. Il réussit un film-synthèse dense et énergique, servi par une interprétation en tous points excellente. Entre deux chefs d'oeuvre, cette comédie dynamique est une nouvelle preuve de la santé merveilleuse des films de celui qui reste l'un des plus importants cinéastes populaires de tous les temps. Voilà.