Sorti un an avant J'accuse, ce film est le deuxième après Mater Dolorosa dans lequel Gance utilise un arrière-plan psychologique qui détermine toute la mise en scène, et sur ce point, il est l'héritier direct de The cheat (Eclairages sophistiqués) et de The whispering chorus (Visualisation de la pensée et du tourment intérieur des personnages), tous les deux réalisés (En 1915 et 1917 respectivement) par Cecil B. DeMille. Le film est donc ambitieux, marqué comme les films du modèle par une volonté de faire évoluer le cinéma vers le haut, mais... La dixième Symphonie est aussi un mélodrame Européen de la pire espèce, situé strictement dans la grande bourgeoisie, et qui résout tous les conflits et fait avancer toutes les parties de l'intrigue en utilisant des échanges épistolaires permanents, qui lassent avant même la fin de la première bobine! C'est donc une oeuvre à la fois riche et ratée, pleine de promesses et remplie de défauts...
Lors d'un échange vif et chargé de menaces, Eve Dinant (Emmy Lynn) tue Varna Ryce, la soeur de son amant Fred (Jean Toulout); celui-ci, qui est sur les lieux, conclut un pacte avec elle: il étouffe l'affaire en ne la dénonçant pas à la police (Qui croira donc à un suicide) si elle accepte de continuer à vivre avec lui, en dépit de sa lassitude d'être le jouet de ses fantasmes les plus sordides. Eve accepte mais après quelque temps achète sa liberté contre une somme colossale. Une année passe, Eve s'est mariée avec le compositeur Enric Damor (Séverin-Mars), et elle s'entend fort bien avec la fille de ce dernier, la jeune Claire (Elizabeth Nizan). Une famille sans ombres, mais... Claire rencontre Fred et tombe amoureuse. Et ce dernier est fort attiré par le poids du compte en banque de la demoiselle...
Une intrigue fourre-tout, mais qui sent sérieusement la naphtaline, et je pense que c'était déjà le cas en 1918. Il y a des qualités, c'est vrai: ce talent qu'à Gance de nous faire partager les émotions de ses personnages est illustré par deux tours de force: d'une part, une ouverture directe et violente sur le coeur même du drame, sur un plan qui illustre le moment situé immédiatement après la mort de Varna. Tout ce que nous avons à savoir de Fred et Eve nous sera communiqué par cette scène, et les enjeux du mélo y sont on ne peut plus clairs. La scène se joue dans un désordre de coussins et de meubles, dans la pénombre d'un intérieur bourgeois qui se pare d'ambiances inquiétantes. Ensuite, lors de la présentation de sa symphonie de la souffrance, Enric Damor provoque une telle charge d'émotions en son public, que Gance nous montre la musique, ce qui est en soi gonflé, et à demi-réussi: chaque personne dans l'audience réagit à l'unisson des autres, et la tension du moment est palpable.
Mais à côté de ces réussites occasionnelles, et des audaces (Les inserts psychologiques, parfois ironiques, la construction qui prévient, anticipe, rappelle avec brio, via des plans oniriques, ironiques ou tout bonnement illustratifs), Gance a été trop loin par exemple en nous montrant la musique (et puis quoi encore?) par le truchement d'une danseuse dans des inserts ridicules, d'un genre qui reviennent aussi dans J'accuse lorsque le cinéaste veut nous faire partager la beauté supposée d'une poésie... Il se perd aussi dans des transfigurations poétiques qui transforment ce pauvre Séverin-Mars en Beethoven, et Emmy Lynn en victoire de Samothrace! Et sinon, beaucoup de choses passent par l'écrit: pas les intertitres, non: des échanges épistolaires, petits messages et autres: c'est de la tricherie! Enfin, le cinéma Français avait besoin de mieux prendre modèle sur les Américains, qui privilégiaient déjà dans leurs drames comme leurs comédies, un point de vue plus démocratique. Avec ses oisifs, bourgeois, compositeurs, poètes aisés ou autres marquis, Gance se situe encore dans un avant-guerre rassis, ce qui on l'admettra est paradoxal pour un film sorti en novembre 1918...