Zola avait la main lourde, mais quelle bénédiction pour le cinéma Français! Après tout, le premier de ses romans à avoir été transcrit sur l'écran avait donné à Albert Capellani une occasion de faire ses premières armes sur un film "long" (Trois bobines) dès 1908 (L'assommoir); Renoir utilisera Nana pour faire un film maladroit à la manière de Stroheim, et Duvivier, mais aussi Christian-Jacques, Marcel L'Herbier, Marcel carné et tant d'autres s'y frotteront à leur tour. Mais tous n'avaient pas la rigueur et ce que j'appellerais volontiers si ce 'était un peu redondant le naturalisme naturel d'Antoine. Ce metteur en scène de théâtre, passé occasionnellement et semble-t-il parfois avec réticences au cinéma avait fait du naturalisme sa marque de fabrique, au point de provoquer chez ses acteurs, souvent amateurs ou débutants, les conditions de vivre pleinement leur rôle... Donc il se devait de venir à Zola, forcément!
Le choix de ce roman, pas parmi les plus flamboyants de l'auteur, est étonnant, mais je pense qu'il faut y voir une tentation de se prendre des chemins de traverse, et de ne pas faire comme les autres; et La terre permettait aussi un tournage en liberté, sur les lieux même du drame, sans avoir les encombrements de la vie citadine. Le film a donc bénéficié de ce réalisme, et je pense qu'on n'a que très rarement filmé la paysannerie et l'agriculture avec moins de lyrisme: c'est glorieusement sordide!!
Les acteurs qui jouent les protagonistes sont pour la plupart méconnus, sauf sans doute Germaine Rouer, qui débutait avec ce film une carrière un peu en marge des grands noms du cinéma Français, et qui était à peine âgée de vingt ans. Comme ses autres collègues, elle correspond parfaitement à ce que voulaient aussi bien Zola (Elle est l'une des rares personnes 'fiables' de l'intrigue) qu'Antoine (Elle est photogénique et son jeu est retenu mais clair). Comme toujours avec Zola, l'intrigue est plus un enchevêtrement de sous-intrigues qu'autre chose, et tout commence par l'arrivée d'un personnage, Jean Macquart, qui s'installe dans une ferme, dans la Beauce. Les "autorités" locales sont plusieurs familles, mais ce ne sont pas des dynasties, plus des troupes disparates de gens dont l'humanité disparaît sous leurs turpitudes, leurs jalousies, leurs médiocrités... et leurs tares: bien sur, il y a un ou deux alcooliques dans le lot; on se rappelle qu'on est chez les Rougon-Macquart. Sauf que Jean, d'une part, est le seul de la belle famille à avoir échappé à la malédiction voulue par l'auteur, d'une part, et d'autre part, Antoine coupe court à cette identification en ne le nommant jamais...
Le film est âpre et sans concessions, mais il est surtout réaliste jusqu'à une certaine nausée. On pourrait s'en plaindre tellement le visionnage est malaisé, mais les acteurs et la mise en scène, parfois à distance, parfois au plus près des acteurs, sont très réussis. pas de décors, le film a été tourné dans du vrai, du tangible, et là encore c'est très impressionnant! Rien d'étonnant à ce qu'Antoine ait eu tant de difficultés à monter ses films, qu'il a fini par laisser tomber la carrière, ce film a dû avoir le plus grand mal à s'imposer. Et il a longtemps été perdu, on en doit la redécouverte au Gosfilmofond, qui en avait gardé une copie; rien d'étonnant, car si le film n'est pas socialiste, il attaque avec une férocité implacable la médiocrité rapace de ses protagonistes qui sont tous à se battre pour des saletés...