Le dernier long métrage muet du metteur en scène d'Un chapeau de paille d'Italie naît clairement du succès de ce dernier film, et la compagnie Albatros et le metteur en scène ont tout naturellement choisi de rééditer l'expérience en retournant à la même source: le théâtre de boulevard d'Eugène Labiche, mais cette fois il met moins l'accent sur l'époque comme il l'avait fait pour son film précédent, pour se concentrer sur la situation et les personnages.
Ceux-ci, les deux timides du titre, sont respectivement un jeune avocat débutant et maladroit, Frémissin (Pierre Batcheff), éperdument amoureux de Cécile (Véra Flory), une femme à laquelle il lui est fort difficile d'adresser la parole, et Thibaudier (Maurice de Féraudy), le père de la jeune dame en question. Lui aussi a des soucis de communication, et il est fort embarrassé de choisir entre un jeune homme qui ne lui inspire pas grand chose, mais que sa fille aime, et un coureur de dot sans scrupules, Garadoux (Jim Gérald), mais qui l'intimide sérieusement voire lui fait peur. Et pour compliquer le tout, Garadoux a reconnu Frémission comme l'avocat minable qui l'a envoyé en prison suite à une regrettable erreur de jeunesse: il a battu sa femme. Pour Garadoux, tous les moyens sont bons pour éloigner Frémissin avant qu'il ne le reconnaisse et ne fasse capoter tous ses plans d'avenir...
Le film commence pr une mémorable scène, dans laquelle se joue l'avenir de Garadoux: il rentre chez lui et attaque son épouse de façon fort brutale... C'est en fait un flash-back, l'histoire est racontée par l'avocat général dans son réquisitoire contre le prévenu. Frémissin va bénéficier de la même attention du metteur en scène, et son flash-back à lui va bien sur partir dans une direction totalement différente... avant de dégénérer suite à l'intervention d'un animal inattendu: une souris qui sème la panique dans le tribunal. Ce début réjouissant est rendu encore plus drôle par les interprétations contrastées de Jim Gerald (Un excellent acteur... du muet.dommage que sa voix n'ait jamais reflété le talent versatile mais visuel de ce comédien!) et de Pierre Batcheff. Clair qui commence son fil sur les chapeaux de roue, va rééditer l'exploit à la fin en utilisant cette fois pour ses plaidoiries contradictoires des photos, et un split-screen qui là aussi va partir dans tous les sens. C'est cette inventivité fabuleuse qui fait tant défaut au cinéma Français muet (On se méfiait des "effets", n'est-ce-pas, ce n'est pas "artistique"... Les guillemets sont d'époque), et qui détache les films de René Clair, mais aussi les films de l'Albatros, du reste de la production... Mais pas que.
Car si j'admire aussi bien Un chapeau de paille d'Italie que La proie du vent, les deux autres productions Albatros (Je mets de côté La tour, qui est un très court métrage) du metteur en scène, force est de constater que ce film possède un atout de taille dans la personne de Pierre Batcheff, inspiré à dose égale de deux comédiens dont il y a fort à parier que Clair les vénérait, car il avait bon goût: Lloyd et Keaton. Et c'est largement sous le parrainage de ces deux acteurs-cinéastes que se place le metteur en scène ici, pour un film qui se moque gentiment mais avec finesse des avocats, et des moeurs corsetées d'une époque révolue durant laquelle il fallait passer par les adultes pour pouvoir s'aimer. Les scènes bucoliques entre Pierre Batcheff et Véra Flory, la façon aussi dont les enfants, observateurs innocents et extérieurs à l'action, se mêlent pourtant de la partie, le sens rigoureux de la composition, allié à un découpage strict, achèvent de mener le film vers la réussite. Et bien sur, pas le succès...