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22 décembre 2016 4 22 /12 /décembre /2016 09:14

Quand il évoquait l'absurde Tour de Nesles de 1954, le film qui marquait son retour à la réalisation après douze années d'exil et de chômage, Abel Gance, avec le style ampoulé qui le caractérisait, disait qu'il avait fait ce film non pour vivre, mais "pour ne pas mourir". C'est amusant, et la nuance est subtile. Mais franchement, ça faisait un bout de temps qu'il y avait de l'eau dans le gaz, et si certes La tour de Nesles était absolument indigne, une infâme bouillie d'aventures téléphonées, de nudités étalées et de sous-entendus atroces, il avait un précurseur. Sur la copie la plus largement disponible de ce film, tout commence... par un visa de l'éducation nationale. Je suppose que la compagnie de production a souhaité se donner une contenance de respectabilité, et sous-entendre que ce film fournirait une leçon d'histoire. Ca nous renvoie finalement à cette manie empruntée par Gance à Griffith, de colporter (Dans Napoléon, il le fait constamment) les pires rumeurs de l'histoire et de leur donner un cachet respectable en écrivant sur un intertitre "Historique"...

On assiste donc à une série d'épisodes de la vie des Borgia, dont le père Alexandre VI, soudard devenu pape, est interprété avec une certaine retenue par Roger Karl. L'aîné des enfants, Giovanni (Maurice Escande), est un ami des arts, et bien sur à partir de là, les sous-entendus pour faire de lui un homosexuel abondent. César Borgia est à ma connaissance le pire rôle de Gabriel Gabrio: mon passage absolument préféré du film le voit attablé, mangeant comme Séverin-Mars dans J'accuse, c'est-à-dire salement, la marque de la brute. Tout à coup, on lui amène une femme. Il déchire prestement sa robe, qui s'ouvre opportunément sur une généreuse poitrine, et il lève ses yeux exorbités en râlant "Belle"... le reste est à l'avenant. Enfin, Lucrèce, interprétée par Edwige Feuillère, donne son titre au film, et on comprendra mieux la finalité du film pour Gance, en constatant qu'elle est maquillée de manière à ressembler à Claudette Colbert. Celle-ci avait pris un bain de lait célèbre dans The sign of the cross, de Cecil B. DeMille, et on sait que le jeune Gance adorait le cinéma de DeMille... Donc Lucrèce Borgia est son "Signe de la Croix" à lui, sa réponse à tout le folklore de scandale qui entoure le film de 1932, il est vrai particulièrement croquignolet.

Et donc, dans une mise en scène certes enlevées, mais qui n'a rien de révolutionnaire, Gance se permet toutes les turpitudes: bain d'Edwige Feuillère, immergée jusqu'à la taille seulement, afin que les spectateurs puissent en profiter. Lutte entre deux costauds bien gras, bien poilus et bien musclés, afin que les dames se pâment. Moult orgies, auxquelles César Borgia participe régulièrement, ça va de soi. Viols figurés divers et variés. Repas dans lesquels on mange avec les doigts en se vautrant dans les fruits écrasés par les corps des figurantes dénudées qui sont disséminées un peu partout sur les tables. Danses coquines (Il y a une obsession mammaire chez Gance, on le voit bien ici)...

N'en jetez plus!!

La leçon de tout ça? Eh bien d'une part, Gance, qui ne va pas pouvoir prétendre être ici en mission éducative, avait la main leste et les idées scabreuses, mais on n'en sait pas plus à la fin de ce film (Vaguement narré, au fait, par Nicolas Machiavel) sur Lucrèce Borgia, qu'avant de le visionner. Aux croyances populaires, qui font d'elle une intrigante et empoisonneuse, le metteur en scène répond en en faisant une ravissante idiote un brin sensuelle, pressée de se faire lutiner, mais qui est trop volage pour se contenter d'un mari à la fois, et une amie des arts, soucieuse dans la dernière scène de laisser dans l'histoire une trace qui serait bénéfique.

...C'est raté.

 

Mais à propos de l'Histoire, justement, le film nous éclaire un peu plus sur ce que Gance avait retenu: l'Histoire, elle, avance. Par exemple, lorsque les Borgia intriguent, lutinent, ripaillent, se goinfrent, assassinent, e tutti quanti, le moine Savonarole, lui, arpente l'Italie et sème le doute et la révolte. Bien sur, il sera brûlé (C'est Antonin Artaud, et il reprend un rôle qu'il avait déjà dans une version inédite de La fin du monde, un autre film particulièrement rigolo de Gance), mais sa façon de voir allait in fine mettre un peu d'ordre au Vatican... Bref comme Violine qui souhaitait assassiner Saint-Just et Robespierre dans Napoléon, qui sommes nous pour nous mettre en travers de l'histoire? "Ils sont trop grands pour nous" concluait-elle avant de se raviser. Gance nous montre des gens, comme Lucrèce, qui vivent en marge, qui n'auront qu'une incidence infime, et nous montre une fois de plus que son cinéma est souvent une ode à... l'impuissance de l'homme face à l'histoire. Regardez Jean Diaz et ses poèmes inutiles pour empêcher la guerre (J'accuse), ou Norma qui échoue à sauver son frère et assiste éberluée à sa chute mortelle (La roue), Max Linder incapable de gagner le pari qui l'a engagé durant une nuit entière (Au secours). Les héros de Gance ont tous une sorte de sublime tendance à l'échec. C'est troublant.

Et ça tombe bien, parce que, excepté pour la prestation de Mme Feuillère qui, bien que souvent lestée de peu de costumes, est absolument excellente, ce film idiot est un échec sur toute la ligne.

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Navets