"Vous connaissez l'histoire de Jesse James, comment il vécut, comment il est mort..."... Eh bien, pas forcément, justement! Aujourd'hui, le nom est suffisamment connu de par le monde, pour promener à travers lui toute une légende un peu figée et désespérément floue. Ce film, sorti en 1939 et bénéficiant d'une soudaine résurrection du western en tant que genre noble, me semble être le début de cette propagation de la légende. L'historien Patrick Brion raconte que Nunnally Johnson, le scénariste à l'origine du film, avait été reçu avec scepticisme lorsqu'il avait proposé son idée à la Fox, car Jesse James était surtout un héros local, peu connu à l'écart du Missouri et de l'Illinois. C'est une exagération, bien sur, qu'il faut sans doute attribuer à cette fripouille de Johnson, un scénariste qui a passé sa vie à dire que John Ford n'était qu'un exécutant sans aucun intérêt sur les films qu'il avait réalisé! Il y a néanmoins un fond de vérité: avant 1939, le héros westernien n'est pas un bandit (A part William Hart et ses films de rédemption), et le principal sujet de la plupart des films épiques qui ont fait l'intérêt du genre sont des histoires liées à la marche du progrès: le cheval de fer, la ruée vers la terre, le pony express; les grandes caravanes... Donc ce Jesse James a été la première pierre de la légende du bandit du même nom, même si il existait déjà des films (Trois, tous perdus, dont un film de 1927 produit par Paramount), des pièces de théâtre et bien sur des livres, tous contradictoires et tous remplis d'exagération...
La vérité sur Jesse James est un roman épique à elle toute seul, mais une chose est claire: le titre du film de King en français est "le brigand bien aimé", et Morris et Goscinny ont créé une version bien ironique du bandit qui se voulait une sorte de Robin des bois: en réalité, l'histoire est sordide, marquée par la violence, le massacre, un appât du gain sans le moindre altruisme, et même une participation, aux côtés de Quantrill, à des tueries pour la compte des confédérés. Histoire d'en rajouter un peu, Jesse James, Frank James et leur famille possédaient des esclaves avant la guerre. Bref: aussi bien l'aventure de Lucky Luke de 1969, que le film de 1939, que la plupart des visions "nobles" du bandit Jesse James ne sont que des réinterprétations de l'histoire, fort éloignées de la vérité. Maintenant que c'est dit, passons aux choses sérieuses...
Sans qu'on sache exactement quand la scène se passe, le film commence par nous montrer une tournée de visites d'un homme (Brian Donlevy) dépêché par une compagnie de chemins de fer, qui viennent extorquer de la terre à des familles pauvres afin de permettre le passage d'une ligne. Il est accompagné, et utilise la force à chaque fois que des habitants montrent un peu de résistance. Seuls les deux garçons de la ferme James, Jesse (Tyrone Power) et Frank (Henry Fonda), réussissent à se débarrasser de l'intrus et de ses acolytes. Mais suite à l'incident, madame James (Jane Darwell) décède, et Jesse tue l'envoyé des chemins de fer. Soutenus par la population locale, dont la plupart des fermiers qui se sont fait spolier, les frères James et un petit groupe d'hommes vont donc se lancer, bien obligés, dans une vie de crimes et de rapines, mollement recherchés par le Marshall Wright (Randolph Scott), qui a de la sympathie pour eux, et Jesse va même trouver le temps de se marier avec la belle Zerelda Cobb (Nancy Kelly), dont l'oncle Rufus (Henry Hull) est le propriétaire virulent d'un organe de presse, lui aussi totalement dédié à la cause des frères James...
Les ennemis des frères James sont des ennemis de la liberté, et en ces temps Rooseveltiens, ces ennemis de la liberté sont bien sur liés à des intérêts privés: ce doit être l'un des rares rôles de "méchant" de Donald Meek, à ma connaissance! Bien sur, il est accompagné et protégé par une clique de gardes du corps, et même aidé par l'armée, mais le personnage de Wright, qui plus est interprété par le chevaleresque Randolph Scott, nous montre bien que la sympathie acquise du public aux deux brigands et à leur bande, peut éventuellement s'étendre aux autorités. La lutte du gang, soutenue par le public, devient une lutte pour la liberté, pour des valeurs humanistes, et bien sur Américaines et nobles. Le film s'inscrit donc prudemment dans l'effort de redressement national de Roosevelt, mais aussi à l'écart de la tentation des dictatures Européennes. Prudemment, mais nettement...
Et King, qui revient au genre par la grande porte, est touché par la grâce: il décide de tourner non pas en studio, mais dans une petite ville préservée, qui lui autorise des séquences dans lesquelles il montre une vraie continuité: par exemple, les séquences autour du journal de Henry Hull ont une authenticité rare. Ce réalisme local est prolongé par le fait que les frères James officient essentiellement dans un environnement qui est très éloigné de la vision habituelle du western: on n'est pas dans le sud-ouest! l'herbe est verte, les montagnes et sous-bois bien touffus... Et prenant ses distances avec l'action, le metteur en scène donne au spectateur une vision d'ensemble, combinée à un montage impeccable, qui joue beaucoup dans les attaques de train, les hold-ups aussi! une attaque de banque qui tourne mal est un modèle de suspense lié au montage... Les couleurs du Technicolor flamboyant sont magnifiques, bien sur, et les décors du Midwest (Ou supposés l'être) sont splendides. Les interprètes sont impeccables, même Tyrone Power n'en fait pas trop, et bien sur, le Frank de Henry Fonda est immédiatement sympathique, à tel point qu'il aura droit à son propre film l'année d'après...
Passionnant, rempli d'humour, de personnages hauts en couleur et de passages obligés, c'est donc probablement ce film qui est le plus à l'origine de la légende totalement fallacieuse des frères James aujourd'hui. Ce qui nous intéresse, c'est quand même qu'avec d'autres films sortis la même année (Stagecoach, Destry rides again, Dodge city), Jesse James a contribué à faire renaître le western de ses cendres, ce qui est déjà énorme. Et bien sûr, c'est un fameux classique.