Ceci n'est évidemment pas le magnifique film de Michael Curtiz, l'un des joyaux aussi bien d'une fabuleuse carrière de metteur en scène, que d'un genre: le film noir. Et si aussi bien le film de Curtiz que la mini-série de Todd Haynes adaptent le même roman de James Cain, ils ne le font pas du tout de la même façon: Curtiz privilégie une intrigue simplifiée, ramassée intelligemment sur deux heures, qui mettent essentiellement en valeur le personnage de Mildred Pierce et son passage par divers aspects du mélodrame avant d'asséner les coups de théâtre sur sa dernière demi-heure; il se dégage un portrait de femme d'autant plus forte, que Joan Crawford semble devenir l'incarnation du volontarisme, que les coups rendront justement plus forte. On y retrouve une tendance pas si rare chez Curtiz: le portrait de femme, justement, qui prend toute la place.
Mais si ce nouveau Mildred Pierce est lui aussi, bien sur, un portrait de femme avec une exceptionnelle performance d'actrice (Ou plutôt deux), cette fois la dimension choisie, un ensemble de 5 heures et demie en cinq épisodes permet à Haynes de coller au roman, et de se livrer à une exploration romanesque qui puisse tenir la distance, et développe, plutôt qu'un destin court-circuité par des détours tardifs et inattendus, plutôt un parcours linéaire, entrecoupé d'accidents, et qui débouche sur un constat: oui, Mildred Pierce est une femme admirable, Américaine par son tempérament pionnier, mais qui affronte un monde qui n'est justement pas prêt pour les femmes indépendantes comme elle; et oui, la femme forte et entreprenante, qui affronte le monde, et pourrait bien réussir, a enfanté un monstre...
Mildred Pierce (Kate Winslet) prie son mari Bert (Bryan F. O'Byrne), qui l'a beaucoup déçu, de quitter sa maison, et elle cherche un travail pour continuer à subvenir aux besoins de ses deux filles. Avec l'aide de plusieurs personnes, dont un avocat un peu trop arrangeant, Wally Burgan (James LeGros), une voisine, Lucy (Melissa Leo), et même à l'occasion Bert avec lequel elle est restée en bons termes. Et très vite, son volontarisme va la pousser à entreprendre, et devenir sa propre patronne. En assez peu de temps, elle créera sa propre chaîne de restaurants, et pourra ainsi donner beaucoup à la seule de ses deux filles qui lui restera, suite au décès de l'autre: la belle rousse incendiaire Veda (Evan Rachel Wood), artiste dans l'âme, mais surtout garce absolue, qui joue un jeu dangereux, dans lequel Mildred pourrait bien perdre des plumes...
Un personnage n'apparaît pas dans ce résumé, et pour cause: Monty Beragon (Guy Pearce) est un playboy que Mildred rencontre pendant son ascension et qui se révélera bien vite un incapable ruiné, mais si beau garçon... il sera aussi à plusieurs reprise un révélateur ironique de l'ascension fragile de Mildred Pierce, qui certes devient aisée, respectée, mais restera toujours pour lui une parvenue, alors que la famille Beragon remonte à l'aristocratie Californienne... Cette dimension sociale est cruciale dans le roman, comme elle eut l'être dans la société Californienne de toujours. Glendale, le quartier où vit Mildred, ne sera jamais Pasadena...
Donc on retrouve une chronique détaillée des étapes à franchir pour Mildred afin de devenir totalement indépendante... Et tout du long, Veda (Depuis son adolescence interprétée par la jeune Morgan Turner) va être à la fois le plus grand amour, et le pire ennemi de sa mère. Elle agit en quelque sorte, avec son obsession de grandeur, de supériorité égoïste sur les autres, en souvenir permanent de la situation dont Mildred vient: elle va jusqu'à lui reprocher d'avoir épousé son père après qu'il l'ait engrossée! Odieuse, grandiloquente, Veda est d'autant plus étonnante que c'est au tour d'Evan Rachel Wood de prendre la suite de l'autre actrice. Elle est fantastique de venin et d'étrangeté contrôlée...
Haynes, et Ed Lachman le chef-opérateur qui a fait le choix de filmer en mm ce qui donne un grain fabuleux, se livrent à ce qui reste le péché mignon du metteur en scène: une époque recréée dans se moindres détails, vestimentaires, comportements, événements marquants. Les années 30 ont ici un parfum de vérité qui va bien au-delà de la recréation maniaque: c'est tout l'esprit d'une époque, tout le tableau de l'ascension fragile d'une femme, face à des obstacles divers: patriarcat, culture, conventions sociales, coups du sort, mode, convenance, tout y passe. Et c'est sacrément addictif, comme on sait si bien le faire chez HBO. Donc ce n'est en aucun cas le chef d'oeuvre de Curtiz, mais on aurait tort de ne pas le voir... Pour commencer, ce film peut rappeler à un certain nombre de phallocrates qui ont manifestement le vent en poupe à l'heure actuelle que leur pays ne se serait pas fait sans les femmes, dont, pourquoi pas, celle-ci.