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13 février 2017 1 13 /02 /février /2017 09:09

Un film de Lewin ne ressemble pas à n'importe quel film de n'importe quel metteur en scène. Parfois, il faut le dire, pour le pire: Saadia et The living idol sont deux impressionnants navets dont on n'ose pas souvent s'approcher de peur d'être irradié... Pandora and the flying Dutchman est un film étrange, et il est parfois difficile de le prendre au sérieux. Mais reste qu'avant ces exercices de style en excentricité, le producteur-romancier-metteur en scène avait réalisé trois films authentiquement enthousiasmants, uniques et liés par un certain nombre de détails de mise en scène: présence de statues, objets divers et autres décorations internes aux plans, qui relaient la thématique et appuient la composition, le montage dans le but de faire du sens. Un sens qui ne sera parfois appréciable qu'au bout de quelques visions. Présence, aussi, de l'art, sous toutes ses formes mais en particulier la peinture: les trois films en noir et blanc ont d'ailleurs tous recours à une ou deux séquences en couleurs afin de présenter une oeuvre picturale; on se souvient bien sur du Portrait de Dorian Gray qui donne son titre au film... Et les trois films enfin ont un atout unique: George Sanders.

Ce dernier est, comme dans The moon and sixpence, le héros du film, mais il est ici un héros paradoxal, George Duroy, le Bel-Ami de Maupassant, qui débarque un peu naïf à paris, avant de se rendre compte qu'il est préférable de se fier à son allure avenante qu'à un quelconque talent pour réussir dans la vie: c'est donc par les femmes que l'ancien hussard va devenir quelqu'un. Trouvant refuge auprès de Madeleine Forestier (Ann Dvorak), l'épouse de son ami Charles, qui le fait entrer à la rédaction d'un magazine, et qui va d'ailleurs plus ou moins écrire ses articles à sa place, George maintient une relation ouverte avec une jeune veuve, Clotilde (Angela Lansbury), avant de commencer à s'intéresser à Suzanne (Susan Douglas), la fille de son patron, une jeunette de seize ans qui n'a d'yeux que pour lui. Mais il sait aussi que pour accéder à la fille, il lui faudra séduire la mère (Katherine Emery)! Georges a un ennemi, le parlementaire Laroche-Mathieu (Warren William), dont il aime se moquer, mais qui sera présent lors de sa perte...

Comme souvent chez Maupassant, et la présence de Sanders oblige, tous ces événements sordides forment en réalité une comédie, qui passe par l'ironie la plus noire. Et George Duroy partage bien des éléments avec Dorian Gray, le héros de Lewin dont il est le plus proche. la mise en scène se déroule de salon bourgeois en taverne, donnent bien l'idée des deux mondes dans lesquels évolue le personnage: près du peuple dont il ne fait pas partie mais dans lequel il se reconnaît ne serait-ce qu'inconsciemment, et dans cette bonne société qui l'accueille pour son talent en matière de répartie, et dont les femmes apprécient sa compagnie. Mais George Duroy est aussi le reflet d'une époque et de ses travers. L'intérêt pour Lewin n'est pas ici de dénoncer bien sur selon un prétendu code moral, mais plutôt de s'intéresser à un parcours: il l'avait fait pour un double de Gauguin comme pour Dorian Gray, et partout où il va, George sera souligné, complété par son environnement. La musique (Le surnom Bel-ami vient d'une chanson qui est souvent entonnée dans le décor, justement), la décoration sont un constant commentaire sur lui; on notera une petite statue de gargouille en particulier qui est parfois vue dans le champ et qui semble jouer le rôle du tableau de Dorian Gray dans le conte d'Oscar Wilde: rappeler la vraie nature de Duroy, tout en soulignat avec ironie la différence entre l'image de l'homme et son moi profond.

Et la pièce de résistance, le tableau de Max Ernst La tentation de St-Antoine (Glorieusement anachronique, qui ressemble à une version surréaliste de Jérome Bosch), de souligner justement la présence de multiples gargouilles... Le film s'organise d'ailleurs autour de cette oeuvre pendant toute une séquence: George Duroy et Madeleine son invités à une fête chez Walter, le patron du journal, dont l'épouse va dévoiler le tableau qu'elle vient d'acquérir, dont elle ne parvient pas à détacher les yeux. Comme dans les deux films précédents, Lewin choisit donc de placer un insert en couleurs, un seul plan cette fois contrairement à The moon and sixpence, et nous envoie en pleine figure le tableau étrange et si décalé, à l'époque de l'impressionnisme triomphant. A ce moment, le film se révèle à nous, derrière la distance de Sanders, le ton volontiers élégant, et la retenue de tout ce petit monde: burlesque, méchant, goguenard et grossier! Ce n'est plus qu'une question de jours avant que Bel-Ami ne soit rappelé à la réalité par un homme qu'on a cru faible, et qui va lui montrer qu'on ne marche pas impunément sur les autres.

Supérieurement interprété (Angela Lansbury, John Carradine, et surtout Ann Dvorak et Warren William en plus de George Sanders, ça fait beaucoup de cerises pour un seul gâteau, non?), à l'élégance vénéneuse, ce film est une plongée en plein dans l'imaginaire de Lewin bien pus que dans celui de Maupassant. Il a retenu du roman un mouvement d'ascension, et un contrepoint d'ironie de plus en plus méchante, qui font de ce film inclassable une expérience assez unique en son genre... Impatients s'abstenir, le film prend son temps. Si vous aimez les poursuites en voiture, passez votre chemin: ce film n'est pas pour vous, et... vous n'êtes pas pour lui.

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Published by François Massarelli - dans Albert Lewin