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4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 15:25

Sorti en 1924 sous le titre America or love and sacrifice, cette grosse production avait hérité du titre Français, supposé plus explicite, de « Pour l’indépendance ». L’ironie, c’est que derrière cette rare intrusion du prestigieux cinéaste presque quinquagénaire dans l’histoire sacrée de la Révolution Américaine, se cache la dernière tentative de sauver son indépendance et son statut de père du cinéma Américain. C’est raté ; 1924 est une très grande année : sortie de classiques immortels (Greed, Thief of Bagdad, The marriage circle, The iron horse) , réalisation de grandes œuvres (The gold rush) et aussi la création de la MGM , qui éclaire d’un jour nouveau l’économie et le mode de production du film US. Entre l’affirmation d’un art de metteur en scène voulu par Griffith, et la toute puissance du système de production dans lequel le « director » est un employé, l’histoire a tranché. Bien sur, d’autres auteurs ont réussi à maintenir leur position, tels Chaplin ou DeMille, mais Griffith était déjà dans une position délicate depuis trop longtemps. Qui plus est, comparé à la concurrence, son film ne tient pas la route…

Griffith se lance donc dans un quitte ou double qui doit lui permettre de redorer son blason : depuis Orphans of the storm, aucun film n’a marché, et ceux qui auraient eu des chances de rapporter des sous ont vu leur budget alourdi par des dépenses imprévues : on l’a beaucoup dit, et cela pourrait être vrai :la nouvelle vedette de Griffith, Carol Dempster, a exigé de son mentor un final grandiose pour un petit film (One exciting night), afin de se voir traitée à l’égal de Lillian Gish… le budget a ainsi explosé, rendant tout bénéfice impossible pour ce qui était à la base une petite comédie à suspense. Dempster, dont Griffith s’obstinait à vouloir faire une star, est de retour ici, avec un ensemble d’acteurs parmi lesquels le seul vétéran vraiment visible est le grand Lionel Barrymore. Sinon, Neil Hamilton et Louis Wolheim pour s’en tenir aux noms connus, sont de la partie. Le bon vieux Bitzer est toujours là, mais il n’est que l’un des opérateurs. Sinon, le scénario est crédit à l’écrivain Robert Chambers (Ce n’est pas un énième pseudonyme de Griffith) et pourtant, l’histoire de ce nouveau film est un ensemble de scènes recyclées de Intolerance, Birth of a nation, et Orphans of the storm.

Le but officiellement poursuivi par Griffith est commémoratif : donner à voir aux spectateurs Américains un album d’image, tourné en Nouvelle-Angleterre, des grandes dates de la guerre d’indépendance, rassembées en une histoire typiquement griffithienne : en Virginie, une famille « Tory » (Loyale à l’Angleterre), les Montague, assiste à l’éclosion d’une rebellion, dont l’un des membres, le jeune Nathan Holden (Hamilton), est amoureux de la jeune Nancy Montague (Dempster). Les Montague, par ailleurs amis de George Washington, restent volontiers loyalistes, jusqu’ à ce qu’un certain nombre d’incidents les poussent à changer de camp : le jeune Charles, d’abord, va rejoindre les rebelles, après avoir assisté à une répression sanglante (Réminiscente de Intolerance). Nancy choisit le camp rebelle par amour, et le père Montague réagit après avoir été témoin du comportement ignoble des soldats loyalistes acoquinés avec des Indiens (A la façon du père Stoneman, qui professe l’égalité durant tous le film, mais s’indigne des demandes extravagantes de Sylas Lynch dans Birth of a nation). Le film est noyé sous les intertitres, qui redondent à tout va, explicitent et didactisent, et excusent un certain nombre de choses. Afin de ne pas s’aliéner le public Anglais, Griffith a par ailleurs un réflexe malheureux, renvoyant l’essentiel des combats menés au nom du roi à la responsabilité d’un groupe de renégats menés par le capitaine Butler (Barrymore) présenté souvent comme une être aux passions débridées : on devine que l’homme ne déteste pas ajouter des squaws à son ordinaire ; ses hommes font pire : ils se déguisent en Indiens pour commettre leurs forfaits. Pour un peu, on croirait à la vision du film que cette guerre d’indépendance a été principalement un combat pour la pureté de la race… Fâcheux coup pour la célébration de la naissance des idéaux politiques démocratiques Américains, passés à la trappe. Sinon, les images d’Epinal sont là, la reddition de Cornwallis à Washington, la prière de Washington à Valley Forge sur un tapis de neige, la chevauchée de Paul Revere… ce sont les plans les mieux composés du film. Les scènes de bataille retrouvent la lisibilité légendaire de Naissance d’une nation, et Griffith ayant posé une famille comme principal vecteur de son histoire peut laisser libre cours à son motif favori : la maison assiégée. La meilleure séquence du film voit ainsi Barrymore et ses soldats s’inviter chez les Montague, et envahir la maison ou les orgies et beuveries vont se succéder. La vertu de Nancy Montague, convoitée par le Capitaine Butler, devient ainsi l’enjeu de la lutte, lorsque Nathan Holden s’introduit dans les lieux pour déjouer les plans des ses ennemis. Cette scène est aussi un rappel de Four horsemen of the apocalypse, en moins efficace : on se souvient de ce manoir pris d’assaut par les soudards Allemands menés par un Wallace Beery en répugnant officier prussien. Mais dans le film d’Ingram, il n’y avait pas cette menace de viol, un trait décidément ultra-Griffithien. A ce sujet, Dempster, l’héroïne que tous convoitent, n’est pas mauvaise, contrairement à la légende. Son visage particulier et ses yeux étranges lui donnent une allure intéressante, et lors d’une scène avec Barrymore, elle joue beaucoup de sa présence corporelle (Elle était danseuse). La scène de la mort d’un proche est jouée avec une sincérité inattendue et de vraies larmes, ou en tout cas ce qui y ressemble… Une autre scène située à la fin du film voit les héros réfugiés dans un fort, envahis par des Indiens assoiffés de sang, pendant que les rebelles chevauchent afin de les sauver… Pourquoi changer de marmite quand la soupe est bonne ?

Bon, sans être un pensum de bout en bout, le film n’est pas brillant. Le motif familial auquel le metteur en scène tenait tant a fait long feu, et on s’irrite de le voir ressortir une fois de plus, surtout lorsque sur le même principe, Ford a fait beaucoup mieux la même année(La vision Lincolnienne des Etats-Unis comme une famille à unir, renvoyant à la symbolique du train, fil rouge de The iron horse, un film dans lequel l’influence Griffithienne est très présente.) De surcroît, America est un gros mélange, on l’a vu, et les gênantes opinions raciales de Griffith ne peuvent décidément pas se cacher. Qui plus est, ce film est sans doute celui pour lequel la vision historique est la plus crûment démontrée comme indigente. L’âge? Le fait de n’avoir plus rien à perdre? Qui sait. En tout cas, le muet se finira sans qu’aucune épopée Griffithienne ne voit le jour. Quant à son indépendance, elle était définitivement derrière lui. En 1926, après d’autres films moins imposants que celui-ci, Griffith allait tourner pour la Paramount Sorrows of Satan.

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Published by François Massarelli - dans Muet David Wark Griffith 1924 *