Le docteur Louise Banks, linguiste de renom, est un personnage solitaire; elle enseigne à l'université et vit isolée dans une volonté évidente de repli sur elle-même... Au début du film, on nous montre le plus grand drame de sa vie: comment sa fille, qu'elle a fini par élever seule, a souffert d'un cancer inopérable, et comment elle l'a accompagnée jusqu'à la mort. Mais l'intrigue principale de Arrival reste bien sûr ce qui se passe à partir du moment où Louise Banks, aux côtés du scientifique Ian Donnelly, est appelée par l'armée Américaine pour participer à une aventure hors du commun que vit désormais l'humanité entière: 12 vaisseaux extra-terrestres se sont en effet installés sur terre, à douze endroits différents, et elle doit entrer en contact avec ceux qui sont stationnés dans le Montana, pour décoder leur langage et entrer en communication avec eux... Mais surtout, elle doit permettre à son gouvernement de faire le bon choix: l'arrivée des extra-terrestres est-elle invasion ou visite de courtoisie? Faut-il répondre militairement ou diplomatiquement?
C'est elle, interprétée par Amy Adams, qui est le personnage central d'un nouveau film de Denis Villeneuve, qui comme souvent nous manipule en nous faisant intervenir contre notre gré dans sa mise en scène... Et cette fois-ci, c'est à la science-fiction qu'il fait appel, pour une intrigue qui sonde deux aspects de l'humanité: le pouvoir du langage (Pas celui de la communication) d'une part, et le choix d'un humain d'autre part. Ce dernier thème est déjà au coeur de bien des films du réalisateur qui nous a montré des êtres face à plusieurs dilemmes: dans Maelstrom, Polytechnique, Incendies, Prisoners, Enemy, Sicario, invariablement les personnages sont dotés de ce libre-arbitre, et les circonstances du choix deviennent l'enjeu principal du film. Mais dans toutes ces oeuvres, le metteur en scène s'est plu à nous embrouiller, notamment en jouant sur la chronologie... Le meilleur exemple de cette tendance est sans doute Enemy, dont les lectures multiples aujourd'hui n'ont pas encore épuisé son capital d'étrangeté.
Ce sera plus simple avec ce film, qui obéit à certains codes de la science-fiction, en nous laissant en particulier appréhender ce qui est toujours un facteur de frisson inégalable, à savoir une nouvelle confrontation avec une civilisation inconnue, sous l'angle non de la guerre, mais plutôt de la rencontre: plutôt Spielberg, donc, que Michael Bay. De quoi se tourner vers ce film avec toute la bienveillance dont nous pouvons être capable, donc... Même si une fois de plus c'est un leurre... Vous ne croyez quand même pas que ce film nous parle vraiment de la marche à suivre au moment de rencontrer les aliens, non?
Et c'est un professeur de langue qui s'adresse désormais à son lecteur: ce film nous parle donc, en le comparant au pouvoir de la science (certes immense), au pouvoir de la science militaire (trop important si vous voulez mon avis), voire au pouvoir de la diplomatie, du pouvoir du langage tout simplement. Un petit bout de bonne femme tient tête à une junte militaire armée jusqu'aux dents (commandée par Forrest Whitaker, un revenant: il est excellent), à un scientifique un peu railleur et dragueur, qui se moque gentiment de la linguiste timide, avant de tenter de la séduire (Jeremy Renner), puis à l'humanité toute entière. Et celle-ci contient en particulier un général Chinois un peu pressé de la gâchette, et elle va expliquer à tout ce monde qu'avant de précipiter quoi que ce soit, et avant de poser n'importe quelle question, il convient d'établir tout ce qui doit être établi: comment pose-t-on une question? A quoi doit-on la reconnaître? Quels sont les sens de chaque item de la question, et comment puis-je les faire passer, car leur compréhension est indispensable au bon déroulement du message. Elle leur fait donc la leçon: pour communiquer, et avant de tirer dans tous les sens à tort et à travers, il convient d'éduquer au langage, de le rendre aussi limpide que possible, et là seulement on pourra communiquer. Bien évidemment, le temps presse, car non seulement l'armée dans la plupart des pays a la gâchette qui démange, mais les populations sont au bord du chaos devant ce qu'elles considèrent comme un risque majeur: toujours cette peur de l'autre...
Le film sera donc assez statique, entièrement ou presque situé au milieu de ce champ du Montana au-dessus-duquel un vaisseau oblong stationne, comme suspendu, et dans des rencontres passionnantes, entre une linguiste, un scientifique fasciné, des militaires éberlués, et deux extra-terrestres nimbés de brume, que les humains ne vont pas tarder à appeler Abbott et Costello! A ce titre, le film passe par une esthétique à la fois jamais vue, et classique, sans rien forcer en terme de morphologie des aliens, et en les rendant jamais trop visibles, deux règles parfaitement indispensables à mon sens. Donc Arrival se pare d'une poésie de science-fiction qui fait merveille, d'un suspense plutôt bien mené.
...et nous mène, bien sûr, en bateau. Ce que, je le dis et le répète, Villeneuve fait systématiquement, et le fait bien car c'est justement le but de ses films. Mais voyez Arrival, traduit si vous voulez mon avis de manière malencontreuse en "Premier contact". Et là, je ne peux absolument pas en dire plus, surtout que j'en ai déjà, certainement, trop dit.