Sans aller jusqu'à partager le cri du coeur de Louis Delluc, qui a vu le film à sa sortie Française et ne pouvait le juger qu'à l'aulne de ce qui existait déjà, ce film de Sjöström est, comme on dit, un sacré morceau! Une histoire d'amour hallucinée et jusqu'au-boutiste, dans laquelle le cinéaste nous livre une fois de plus sa vision de la vie, de la noirceur de l'existence, et du destin de l'homme, dans une fuite en avant magnifique... et d'un pessimisme radical. Et l'homme doit forcément entrer en conflit avec la société, c'est-à-dire avec lui-même, et se battre contre un ennemi encore plus implacable: la nature...
Dans une ferme, en Islande, un nouvel arrivant provoque les passions: la fermière, une veuve encore jeune et convoitée par tous les partis importants de ka région, est fascinée par celui dont on ignore tout, et le beau frère de la dame quant à lui, ne va pas tarder à découvrir qu'il a un passé sulfureux. Kari (Sjöström) s'appelle en réalité Egvind, et il est un voleur qui a fait de la prison. Mais Halla (Edith Erastoff), en l'apprenant, lui avoue quand même son amour pour lui. Et quand on vient le chercher, elle décide fuir avec lui vers la montagne, ou ils pourront vivre, sinon heureux, du moins ensemble.
Et bien sur, le film ne s'arrête pas là. D'une certaine manière il commence même vraiment tant la deuxième partie, entièrement située en montagne dans des décors naturels magnifiques et menaçants, est le coeur même de l'oeuvre. C'est là le choix qu'ont fait les deux amants, qui auront un enfant, et n'auront de cesse que de fuir les autres: la venue d'un ancien ami, par exemple, ou un parti de fermiers qui les cherchent, vont précipiter les deux héros toujours plus loin, et vont même indirectement provoquer un infanticide: préférant le tuer plutôt que de laisser son enfant à sa propre famille, Halla le précipite dans le vide... Et la venue de l'ami, qui au début apporte un peu de changement, va avoir un effet désastreux quand le nouveau venu apercevra Halla qui se lave dans une source. Il ne s'en remettra pas... Je ne peux m'empêcher de penser que si, dans The scarlet letter, Hester et Dimmesdale avaient pu s'enfuir, dans l'esprit de Sjöström, ils n'auraient pas connu un autre destin que celui-ci.
Louis Delluc non plus, qui voyait en ce film, jusqu'à la fin de sa vie, le meilleur film du monde! Je ne suis, bien sur, pas de cet avis. Mais la hauteur de vues, le fait que Sjöström ait osé aller tourner ce film dans des conditions incroyables, et la noirceur de l'ensemble, forcent l'admiration pour le savoir faire du metteur en scène, un homme entièrement dédié à un art qui n'avait pas 25 ans d'existence.