Sjöström a beaucoup tourné durant les années 10, mais très peu de films ont survécu. A part les trente minutes disjointes de Dodskyssen (1916), on n' a rien gardé de ses films (beaucoup ayant disparu dans un incendie) réalisés entre Ingeborg Holm (1913) et Terje Vigen (1917)! Et la vision de ce dernier film prouve que le metteur en scène a mis à profit ces années de formation pour faire évoluer son style! Terje Vigen ne fonctionne pas, comme Ingeborg Hom, selon une progression linéaire, par tableaux, mais intègre le montage ainsi que des flash-backs dans sa structure, flash-backs dont on sait l'importance qu'ils vont acquérir avec son film le plus célèbre... Et Terje Vigen se situe totalement dans sa thématique sombre, avec une histoire de vengeance, inscrite dans les conditions météorologiques houleuses d'une ville côtière de la mer du nord...
Adaptée d'un poème de Henrik Ibsen, l'histoire est située en Norvège. La guerre fait rage, et le petit port ou vit le marin Terje Vigen avec sa petite famille est victime d'un blocus: les gens meurent de faim, et Vigen sent que son fils ne survivra pas longtemps. Il prend la décision de tenter de forcer le blocus et de se rendre seul au Danemark, afin de récupérer du maïs, pour tenter de nourrir la population... Comme il n'a qu'un frêle esquif, il parvient au Danemark sans problème, mais il est repéré sur le chemin du retour par un bateau Anglais, et les marins décident de le prendre en chasse pour s'amuser un peu; le bateau est coulé, et Vigen se morfond de longues années en prison...
A la fin de la guerre, il sera libéré, et rentrera chez lui, mais les nouvelles ne seront bien sur pas bonnes. Le film inscrit cette intrigue dans un flash-back, motivé par la vision de Terje Vigen (Victor Sjöström) vieilli, aigri, qui a donc perdu son épouse et son enfant, et survit tant bien que mal, en maudissant quotidiennement la mer... C'est un rôle dont on ne peut pas dire qu'il soit tout en subtilité pour Sjöström! Mais l'acteur est souvent isolé par la composition, dans le film, qui du reste est assez court: ses quatre actes (En fait, plus trois et un épilogue) se déroulant sur moins de 53 minutes. Et le film est clairement l'histoire d'une malédiction personnelle, car tout y est vu du point de vue de cet homme qui a tout perdu, et qui se réfugie dans un espoir de revanche impossible... Comme Körkarlen, ou comme He who gets slapped, il est l'histoire, à heure du bilan, de quelqu'un qui a vécu pour pas grand chose! ET le metteur en scène choisit d'utiliser à fond la nature qui entoure son héros, notamment la mer, faisant un usage dramatique des conditions de la mer du nord.
Donc, tout ça n'est pas très gai... Heureusement, dans l'intrigue qui a prévu également une rencontre tardive entre Vigen et le capitaine Anglais responsable de son emprisonnement, c'est la présence d'un enfant qui rendra à Terje Vigen la raison, au terme d'une tentative de vengeance qui n'aboutira pas.