
Quelques mauvaises langues ont bien du essayer de juger ce film sous l'angle de ce qu'on appelle péjorativement un rôle à Oscar, ce genre de performance placée sous les angles conjoints de l'extrême émotion et du consensus le plus sage. On peut toujours se demander, en 1999-2000, pourquoi Steven Soderbergh, cinéaste expérimental et touche-à-tout a bien pu s'atteler à un tel film, grand public par excellence... Et le résultat lui donne totalement raison. Commercialement, d'abord, Erin Brockovich a été l'un des gros succès de l'année. Mais artistiquement, comme d'habitude, le metteur en scène de Ocean's 11 et Schizopolis, pour prendre les deux extrêmes de sa carrière, y a pleinement trouvé son compte...
En Californie, à la lisière du désert, Erin Brockovich (Julia Roberts) est une maman de trois enfants qui ne parvient pas à trouver du travail. Il faut dire qu'elle est jeune, deux fois divorcée, et que l'éducation de ses deux filles et un garçon a pris tout son temps, donc... toutes ses tentatives s'avèrent des échecs. Un accident de voiture va avoir des conséquences inattendues: elle est aidée dans les démarches judiciaires pour obtenir réparation par un avocat, Ed Masry (Albert Finney), qui ne parvient pas à tempérer le tempérament volcanique de la belle, et elle est déboutée. Seule solution pour elle, trouver un boulot avec son manque absolu de qualifications, le plus vite possible...
...Elle se rend donc au cabinet d'Ed Masry, et l'oblige quasiment à l'embaucher.
C'est dans le contexte très système D, pré-informatique (les dossiers sont des boîtes de carton! des vraies!) du cabinet d'avocats, qu'Erin va se révéler; engagée à trier des dossiers, elle va tomber sur des questions, des vraies: en particulier, elle va déterrer une affaire de la population d'une localité lentement empoisonnée via l'eau courante par une compagnie multimilliardaire avec le pouvoir de faire taire tous les avocats de la terre. Erin Brockovich part donc en croisade.
Julia Roberts n'a rien de glamour ici, habillée en jupes ultra-courtes, bustiers très serrés, et décolletés plongeants, comme elle le dit et l'assume elle-même "I look nice!". Elle n'a pas non plus sa langue dans sa poche, et se défend en dépit de son manque total de connaissance officielle du droit et des lois, elle représente donc le triomphe du bon sens sur la paperasse. Et c'est là que le film, certes consensuel, et disons marqué d'un volontarisme vaguement de gauche, prend tout son sel, justement: Erin Brockovich est une héroïne, une vraie, une personne qu'on a envie de suivre! et on la suit, et d'ailleurs on n'est pas les seuls...
Ed Masry, interprété avec sa verve habituelle par Alert Finney en mode bougon, va être convaincu par Erin parce qu'elle obtient des résultats, et ce très vite. Et le "couple" qu'ils forment est enthousiasmant, parce que les étincelles sont systématiques. C'est bien simple, on est dans la droite filiation de Cary Grant et Rosalind Russell dans His Girl Friday, et pas seulement par le jeu des acteurs. Il y a une atmosphère de comédie là-dedans, dans un film qui aurait pu se contenter de nous faire pleurer indéfiniment. Erin Brockovich se distingue de ses glorieux aînés dans le genre, par contre en montrant le "couple" vedette comme des gens qui ne tomberont pas dans les bras l'un de l'autre: pour la partie "romantique", il y a Aaron Eckhart.

A cet héritage jamais forcé de la plus noble comédie des années 30 et 40, Soderbergh ajoute un grain de sel, une touche totalement personnelle: sa mise en scène, suivant les expériences menées dans ses deux derniers films, Out of sight et The limey: Erin Brockovich est filmé à la façon des thrillers polémiques des années 70, All the president's men en tête. L'urgence, la caméra au plus près des acteurs, et des scènes souvent situées dans des lieux aussi authentiques que possible... Le metteur en scène n'a rien perdu pour ce film sensible et grand public, de son mordant, et même s(il est de bon ton de lui préférer, pour cette période charnière, The limey et le superbe Traffic (Un autre film "engagé", mais sans rôle à Oscar!), il faudrait franchement vouloir ne pas aimer ce film pour faire la fine bouche.
Ou ne pas aimer Julia Roberts, dont je pense que c'est tout simplement son meilleur rôle...