
Là où Roach lui offrait, en 1918-1919, des essais sous surveillance, à la recherche d'un univers et d'un personnage qui puisse cadrer avec le monde déjà établi du studio, Laurel a trouvé durant ses années au studio Amalgamated Pictures des opportunités de développer en relative liberté son art, de raffiner son style, et de trouver aussi du confort pour établir une vraie personnalité, qui était enfin compatible avec tous les aspects de sa palette: la plus riche, peut-être, de tous les comédiens, Laurel pouvant au gré de son inspiration passer du plus lunaire des clowns à l'ahuri le plus complet, en passant par des aspects surréalistes. Il aimait la parodie qui lui permettait de laisser libre cours à son génie pour la bouffonnerie la plus accomplie, mais appréciait aussi de pouvoir participer à de vraies histoires qui passaient par une évolution, avec un début et une fin, le tout en deux bobines, le format parfait pour construire un film sans en faire trop. C'est à cette dernière catégorie qu'appartient ce petit film sans façon, mais plein de qualités.
Pour commencer, on voit qu'on a le temps, puisque le film nous présente non pas un, mais deux personnages. L'un est riche, et c'est un escroc, on l'apprendra très vite. L'autre est pauvre, et c'est Humpty-Dumpty (Laurel), un charpentier qui vit en pleine débrouille: les deux prennent leur petit déjeuner en même temps, et on s'amuse de voir la transposition du luxe de l'un dans la débrouillardise ingénieuse et loufoque du second. Il ne se rencontreront vraiment que deux fois dans le film, mais cela aura une incidence sur la petite intrigue-prétexte (une sombre histoire d'escroquerie opérée par le bourgeois sur l'entreprise où travaille Laurel), mais soyons clairs: ce qui compte ici, c'est Laurel, électron libre lâché dans une entreprise, où il peut tester ses gags, c'est-à-dire son pouvoir de nuisance! Il peut aussi tester sa relation avec un contremaître (Véreux) qui anticipe sur l'irascible James Finlayson... Très plaisant, donc.
Reste que le film fait penser, par son mélange entre intrigue et loufoque, à l'art de Larry Semon. Mais je ne peux m'empêcher de me demander, sachant que Laurel a travaillé avec Semon: lequel a influencé l'autre?