
La dernière des quatre collaborations entre Noel Coward et David Lean est sans aucun doute leur meilleur film, leur plus célèbre aussi, tout en ouvrant un espace inédit dans le cinéma Anglais, Européen, voire mondial. Il s'attaque aux sentiments sous un jour inédit, parce que dangereux: l'adultère, vu non sous un angle moral, ni vraiment sous l'angle de la passion, mais sous un angle pratique. Qu'est-ce qu'un adultère, ou plutôt, qu'est-ce qu'une tentative d'adultère, car les deux amants ici ne le seront jamais...
Laura Jesson (Celia Johnson) est une Londonienne, mariée et mère de deux enfants, dont la petite vie réglée est faite essentiellement de routines. Parmi celles-ci, des menues escapades en ville, pour un film ou un achat, puis un retour au bercail... Et un jour un grain de sable se présente en la personne d'Alec Harvey (Trevor Howard) un fringant docteur, marié comme elle, qui sans crier gare va entrer dans sa vie. Ce n'était ni prévu, ni conscient, mais c'est une vraie histoire d'amour. On apprend à la connaître, au début du film, de la bouche même de la jeune femme, alors que l'histoire vient de se terminer...
Les deux auteurs se sont magnifiquement distribué le travail: à Noel Coward, les répliques ciselées, le merveilleux Anglais populaire des Londoniens, et les dialogues souvent marqués par une méchanceté à l'égard des autres (C'est-à-dire toutes les petites gens qui sont les témoins involontaires d'une histoire qu'ils ne comprennent d'ailleurs pas vraiment). Laura et Alec, qui ont soif d'absolu, et qui rappelons-le sont tous les deux racontés par Laura, sortent grandis de cette histoire. Enfin tout dépend de l'implication morale du spectateur: Alec, par exemple, est celui qui "conduit" vers une relation lorsque Laura aurait plutôt tendance à fuir à toutes jambes dans l'autre direction. Et leur unique occasion, désastreuse, de tenter d'aller au bout de leur passion, se fait sur son insistance.
A David Lean les choix éditoriaux et de mise en scène, la structure en flash-back, les jeux de points de vue (On voit la toute première scène deux fois, une fois "objectivement", et la deuxième fois avec une voix off due à Celia Johnson qui nous éclaire sur la cruauté de l'épisode: les deux amants savent qu'ils ne se reverront plus jamais, ce sont leurs dix dernières minutes, et une "amie" de Laura vient s'insérer entre eux, ne sachant pas qu'elle gâche irrémédiablement ces dernières précieuses minutes... Le metteur en scène a choisi un noir et blanc de film noir, avec ses séquences nocturnes, qui cachent des sentiments que ces braves gens auraient sans doute tant préféré ignorer, que de s'y laisser prendre. Il filme parfois au plus près des visages, et nous fait profiter de l'admirable jeu expressif de Celia Johnson.
Au final, la plus grande force de Brief encounter, c'est de ne pas avoir cédé à la tentation si facile de faire de Madeleine (Mrs Harvey, qu'on ne verra jamais), et de Fred (Mr Jesson, qui n'est pas aussi naïf que le croit son épouse), les "méchants" du film: ce ne rend pas les choses faciles pour les deux amoureux, mais ça rend aussi le film encore plus passionnant, jusqu'à sa scène finale, une admirable prise de conscience de la part de Laura qui donnerait presque un happy end à cette histoire tragique.
S'aimer, c'est pouvoir faire abstraction de tous les autres, de toutes les convenances, de ceux qu'on abandonne, du fait qu'il faut parfois tout casser pour construire une autre histoire. Ce sont là des pistes ouvertes par ce film qui s'intéresse à tout ce qu'on n'a jamais vu dans tant d'histoires d'amour engluées dans le cliché et les bons sentiments. Billy Wilder a, on le sait, été plus loin encore, en s'intéressant à celui qui prête son appartement aux amants et en a tiré une autre oeuvre essentielle, The apartment. C'est la preuve qu'on a beaucoup à lire entre les lignes avec ce film de 86 minutes qui est bien plus riche qu'il n'y paraît. Notons que David Lean retournera sur un terrain similaire avec le trop raisonnable The passionate friends, et plus tard avec le pas assez raisonnable (!) Ryan's daughter... Mais avouons-le, quels que soient les mérites de ces deux films (et ils en ont!), aucun des deux ne peut rivaliser avec celui-ci.
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