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9 août 2017 3 09 /08 /août /2017 16:39

Le générique, surprenant, donne le ton: il a été tourné d'une façon novatrice, par un Tati décidé dès le départ à faire contraster deux mondes... Des panneaux plantés sur un chantier, au lieu d'indiquer les immeubles et entreprises en devenir, annoncent le rôle de tout un chacun dans la production. Et pour finir, un plan d'un faubourg un poil suranné nous donne, enfin, le titre du film: Mon Oncle est écrit à la craie, en lettres liées, sur un mur...

Le ton est donné, et on ne sortira plus de cette dichotomie, de ce passage d'un monde vieillot mais poétique (Hulot, les vieux quartiers dont les magasins poussiéreux ferment les uns après les autres), à un monde tourné vers l'avenir, l'efficacité et l'optimisation, totalement déshumanisé et mécanisé, froid et moche (Les Arpel, l'usine, et les maisons "futuristes" au design complètement idiot...). M. Hulot a beau être le frère de Mme Arpel, son beau-frère Charles ne le porte pas dans son coeur: il est si désordonné, au lieu d'être un exemple pour son neveu, le petit Gérard. Pourtant, le gosse adore son oncle et ne s'amuse que quand il passe du temps avec lui... Allez comprendre!

Ce qui tient lieu d'intrigue au film c'est que les Arpel tendent la main à Hulot: ils souhaitent lui permettre d'avoir une situation, à l'usine où travaille Charles Arpel: c'est un homme important, il y est sous-directeur! Et Mme Arpel souhaite aussi placer son frère avec la voisine, une femme seule, mais si chic! Et durant tout ce temps, le célibataire distrait peut se rendre utile et passer du temps avec Gérard...

Et puis c'est tout: Tati n'a pas besoin de grand chose de plus... Et ce prétexte lui permet de se lâcher sur une vision corrosive et mordante du monde en devenir, celui de la banlieue de la fin des années 50. On sait tout de suite où son coeur le porte, du reste: il est Hulot, et il amis une charmante jeune fille dans le petit monde où vit "mon oncle" au début du film, qui grandit, pleine de promesses, avant la fin du film...

Le metteur en scène s'amuse beaucoup à régler des ballets dans l'espace urbain, banlieusard, dans les bureaux froids et les jardins tellement bizarres qu'ils en deviennent surréalistes: comme d'habitude, ce film requiert un effort particulier, il faut se laisser glisser confortablement dans chaque plan et se laisser surprendre, en regardant là où Tati nous dit de regarder. Des fois ça fonctionne mieux que d'autres mais le regard de Tati n'est finalement pas si éloigné de celui d'un Chaplin, d'un Langdon ou d'un Keaton... 

S'il est parfois méchant avec les lieux, les habitations, les objets et les mécaniques, il ne se départit jamais d'une certaine tendresse envers les gens. Ceux qu'il maltraite ont droit au moins au bénéfice du doute: Mme Arpel est après tout bien intentionnée, et elle souffre d'une double aliénation: prisonnière de son statut de mère au foyer et dépendante de tous les objets idiots dont elle s'entoure: à un moment, elle disparaît littéralement! Mais même le très conservateur M. Arpel a droit à une certaine forme de rédemption, à la fin du film, de la part de son fils...

Par contre, pour le monde qu'il nous dépeint, Tati est sans pitié: son personnage est exilé "en province", et doit abandonner son quartier si pittoresque (et les promesses de la jolie voisine), et les démolisseurs sont déjà là. Pour construire des grands ensembles, je suppose...

Tati divise, à partir de ce film... Qu'on l'aime (parce qu'on s'est laissé piéger par son rythme indolent et l'acuité de son regard) ou qu'on ne l'aime pas (parce que son rythme est quand même bien particulier et les parti-pris de Tati sur le son le placeraient presque dans l'avant-garde en ces cotonneuses années 50), il faut bien reconnaître que Tati, hélas, était un visionnaire.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati