
A Ste-Sévère sur Indre, une fête foraine se prépare. La vie de la journée va s'organiser autour de ses stands, ses flonflons et ses forains, d'autant que ceux-ci vont profiter allègrement du café situé juste à côté de leurs baraques. Parmi les locaux, on s'intéresse surtout à François, le facteur (Jacques Tati), un vrai rigolo celui-ci. Mais la fête foraine va lui apporter son lot de doute, en effet il va y voir (en contrebande, il n'a pas payé sa place) un documentaire sur les nouvelles méthodes des Postes Américaines... qui lui donne des complexes: est-il si efficace qu'il le croit? Les forains vont bien s'amuser à le guider pour "améliorer son rendement".
Fred Orain, le producteur du film, croyait en Tati et avait bien vu la réussite de son court métrage L'école des facteurs (1946), dont ce film est la prolongation: même personnage, et finalement un peu la même mission: aller plus vite. Dans le court c'est à partir d'une consigne venue d'en haut, dans le long c'est une lubie due essentiellement à une consommation de Cognac un peu trop assidue. Le film s'est donc tourné dans le petit village du sud de l'Indre, par Tati assisté de son ami Henri Marquet. Le choix du village est déterminant, car une fois sur place, les deux complices ont ajouté beaucoup d'éléments qui dépendent justement de cette place des fêtes centrales, et de son café, son boucher, etc... Contrairement à L'école des facteurs, il y a beaucoup plus qu'un seul personnage dans Jour de fête. François le facteur n'arrive qu'au bout de dix minutes, durant lesquelles Tati nous fait visiter son coin de paradis aux allures de village éternel, coincé dans un monde à part...
...un monde à part dont le facteur est l'un des "notables", en quelque sorte, dans le sens où tout le monde le connaît: d'ailleurs son manque d'efficacité, du à une certaine tendance à la distraction, reste un sujet de rigolade généralisé, qui va pousser les deux forains (Paul Frankeur et Guy Decomble) à se payer, relativement gentiment, sa tête, et bien sur à la saouler copieusement. Mais François est aussi débrouillard, organisé, et a parfois une impressionnante capacité d'adaptation: ce qui fait de lui un personnage bien différent de Hulot, en effet. Il est de plus très franchouillard, ce qui est accentué par une bande-son à la limite du collage surréaliste ("Ben mon vieux, il est pas bien çui-là mon vieux!").
Au-delà de son personnage, Tati s'intéresse à un choc culturel inattendu, entre un petit village Français aussi pittoresque que possible (Et dont la version originale du film, tournée en 1947, montre beaucoup des habitants dans leur propre rôle), et un hypothétique progrès, discuté par tous, et qui leur donne de leur pauvre facteur une image dégradée... Le même sujet, en somme, que dans Mon Oncle, ou dans Playtime dans lesquels Tati nous montre la lutte inégale entre le passé et le futurisme à tout prix... Mais dans Jour de fête, le cinéaste est bien moins soucieux de cet excès du progrès, qu'il ne le sera plus tard; pour l'heure, il s'est fixé deux objectifs: capter avec tendresse l'indolence d'un village à l'heure de la sieste, et y lâcher un électron libre dont on va pouvoir tirer des gags. Car dans l'esprit de Fred Orain comme dans celui de Jacques Tati, la confection d'un film de comédie burlesque (J'ose le dire, c'est tellement approprié: à l'Américaine!) relève de la mission sacrée. A ce titre, le film est un événement exceptionnel dans l'histoire du cinéma Français. Après, les nombreuses extases de m'as-tu-vus du microcosme cinématographique Français (L'Herbier, Gaudare, Trufo) qui y ont vu de la nouvelle vague ou du néo-réalisme, on s'en fout: quelle importance d'ailleurs? Jour de fête est important justement parce qu'il s'agit d'un long métrage comique: on y rigole, avec sagesse.
Je ne reviens pas sur l'histoire tumultueuse du film, ses trois versions (Une en noir et blanc, car la version tournée en Thomsoncolor refusait de se laisser tirer; une en noir et blanc avec ajout de séquences tournées en 1961 pour justifier des inserts de couleurs; la version couleurs du film, enfin tirée en 1994), mais je vais profiter de cet espace pour dire à quel point je pense que Tati était un grand cinéaste de l'image ET DU SON. Mais surtout pas de la parole... Ajoutées en post-synchronisation, les répliques de tous ces gens sont parfois abominables à entendre, sans parler de l'accent rustique, le genre agricole, qui est forcé jusqu'à en devenir irritant. Tati, lui, s'en foutait comme de l'an 40. le public, finalement, aussi, qui a fait au film un triomphe dès sa sortie...
