
Parce qu'en vérité, à cette époque, soit avant, disons, Les Tontons Flingueurs et Dr Strangelove, on ne pratiquait pas le mélange de genres... Lautner avait déjà tourné trois films dont deux qu'il considérait avec affection (Marche ou crève et Arrêtez les tambours), qui avaient été de sombres drames, des intrigues idéales pour rôder une équipe et apprendre à se servir du matériel. ...Et se faire connaître!
D'une série B sans grand intérêt, et de l'esprit indiscipliné de Paul Meurisse, qui se sent piégé par contrat dans un film qu'il juge complètement idiot (A juste titre), va naître le nouveau Georges Lautner, un metteur en scène qui travaille vite, bien, en rigolant tout le temps et en se ménageant toujours une petite ouverture vers un meurtre mis en scène de façon inoubliable. Ici, c'est avec une sonnette de porte d'entrée. L'équipe est donc en place, avec la complicité de Pierre Laroche pour la réécriture de l'adaptation, ou encore Maurice Fellous à la photo. Et parmi les assistants, le jeune Bertrand Blier...
De l'avis général, le livre Le monocle noir est sans grand intérêt: largement basé sur l'exploitation de tous les bas instincts, le spectaculaire, la mise en valeur des "souvenirs" d'ancien résistant de son auteur le "colonel" Rémy, ça a en plus la réputation d'être totalement incompréhensible. Lautner ne gommera pas cet aspect, mais fera tout pour qu'on puisse légitimement avoir l'impression que le film lui-même rigole des excès de son intrigue: il utilise en particulier Bernard Blier, qui joue un commissaire de police dépassé par les événements, et qui passe son temps à souligner qu'il ne comprend rien... Il va aussi multiplier les décrochages, comme ces gangsters qui flinguent à tout va sans s'arrêter de commenter leur petite santé fléchissante... Il joue à fond la carte du style, nocturne, avec des plans qui impressionnent par leur profondeur de champ extrême (Qui en prime favorise des gros plans de figurants, qui seront ravis de l'aubaine!), tant et si bien que la film s'approche sans cesse de la parodie sans que le sérieux apparent des personnages ne soit mis en doute!
Et pour finir, la belle cerise sur le gâteau, c'est que Paul Meurisse n'avait aucune espèce d'envie de faire le film, mais était financièrement obligé; il ne mettra pas longtemps à comprendre qu'il avait carte blanche, et ne s'est pas privé de faire de son "commandant Dromard", espion émérite et portant parfois monocle, un être à part, pétri de sales manies et de gestes absurdes, qui rend le tout absolument farfelu...
Un dernier mot: il est question de nazis, de nostalgiques dont un marquis obsédé par "la grandeur" que pourrait apporter une élite humaine à un monde en déliquescence: il est interprété par Pierre Blanchar, et le grand comédien, qui après tout avait été aussi un résistant, ne s'est pas privé de montrer l'extrême droite Française, qu'il exécrait, sous son visage rassis. Il s'est beaucoup amusé.
Moi aussi...
