
Premier film en couleurs, et dernier des trois films de Lautner avec Lino Ventura, Ne nous fâchons pas est un paradoxe: un film multi-diffusé à la télévision, profitant allègrement du succès des deux précédents (Les tontons flingueurs et Les Barbouzes) tout en étant celui des trois films pour lequel on fait le plus souvent la fine bouche, il est aussi une preuve que Lautner, quand tout va bien pour lui, aime expérimenter... la parodie de films noirs et d'espionnage profite ici d'une envie de taquiner James Bond et ses méchants disposant d'organisations para-militaires tentaculaires, et d'une tendance désormais assumée, et qui se manifestera souvent, d'enrober les morts violentes à l'écran, de gags, de couleurs, de mise en scène inoubliable. Et tout ça sans faire du metteur en scène un esthète du crime, mais bien un pourvoyeur inimitable de comédie... Bref, avec Ne nous fâchons pas, Lautner se lâche encore un peu plus qu'avec Les Barbouzes, s'assume totalement, se fait plaisir enfin! Et il le fait en bonne compagnie, en particulier celle d'Audiard. Le tout débouche sur un film quasiment psychédélique, au délire pleinement assumé!
Et il commence avec une séquence pré-générique inattendue, car n'ayant rien à voir avec l'intrigue: c'est surtout une manière tranquille d'exposer le personnage interprété par Ventura, Antoine Berreto. Ce commerçant "honnête", comme il se définit lui-même, homme serviable mais capable de réactions musclées, est en effet poursuivi par une malédiction tenace: quand on l'irrite, il tape. Et il tape fort. Ca ne sert donc ni l'action ni l'histoire, mais c'est bon à savoir, parce qu'en effet, quand on embête Antoine, il a du répondant, on aura souvent l'occasion de le voir.
L'histoire commence à Collioure, ce qui nous surprendrait presque, nous qui avons tant pris l'habitude de voir les décors de la Côte d'Azur dans les films de Lautner. Antoine Beretto est un ancien truand qui s'est totalement rangé cinq années auparavant. Ce qui n'empêche pas les mauvais souvenirs: deux d'entre eux débarquent dans sa boutique où il vend du matériel de plongée et autres babioles maritimes. "En souvenir du bon vieux temps", ils lui réclament de l'aide (Les transporter en Italie en contrebande, Berreto possède tout le matériel pour) et de l'argent. En échange, ils lui donnent une adresse, celle d'un petit escroc qui leur doit une somme rondelette et qui se planque dans les Alpes-Maritimes; en se rendant à l'hôtel où crèche Léonard Michalon, Beretto met le pied dans un sacré panier de crabes, et pour commencer, selon l'expression d'usage, "bute un mec" qui en voulait à Michalon.
Et on va le voir, Michalon attire les ennuis, et les baffes. C'est très vite l'escalade dans ces deux domaines...
Lautner et Audiard sont une équipe rodée dans ce film, et ça se voit et s'entend. La troupe est là, sous une nouvelle déclinaison après les combinaisons différentes des Tontons et des Barbouzes: autour de Ventura et de Jean Lefebvre (Michalon), on voit Michel Constantin en compagnon ex-gangster qui énonce souvent les chose essentielles à la place de Beretto, et avec lequel ils forment une sorte de couple soudé dont l'enfant serait Michalon. Et puis, il y a bien sur celle dont j'ai du mal à croire qu'il va falloir désormais l'appeler feue Mireille Darc... Elle revient après Les Barbouzes, pour un rôle un petit peu moins garce, un petit peu moins fatale, mais bon, c'est Mireille Darc, quoi: l'épouse de Michalon, une autre de ses victimes, qui va assurer le repos du guerrier entre deux bombes pour Beretto.
Car si on dépasse les bornes (outre en ce qui concerne l'indispensable décompte de gifles) dans ce film, c'est bien sur le nombre d'explosions, de véhicules démolis, d'incendies irrémédiables. Et Ne nous fâchons pas me fait un peu penser, sous certains angles, à The Pink Panther de Blake Edwards: une comédie élégante de gangsters, en couleurs et cinémascope, tournée sur les côtes de la Méditerranée, et dynamitée de l'intérieur par l'esprit frondeur de ses deux auteurs, avec la complicité d'une bande d'acteurs qui n'en finissent pas d'apprécier les vacances studieuses à la Lautner! D'un film qui aurait été plaisant, le réalisateur fait un méta-film, véritable commentaire sur tout un pan du cinéma de genre de l'époque.
Et si Audiard est en bonne forme, le metteur en scène se lâche souvent, trouvant des solutions visuelles totalement dignes de l'esprit des Sixties: je pense sincèrement que ce film est à lui seul une capsule temporelle de ce que sont les années 60, vues à hauteur de vacanciers (On y campe, on s'y baigne, non?), ou de gangsters. Et le baroque malpoli (Ces mods aux casquettes, avec leurs improbables instruments pas toujours branchés et leurs vélomoteurs rouges) n'est après tout pas beaucoup plus improbable que les petites mains qui travaillent pour Blofeld ou Goldfinger. Lautner expérimente avec toutes les ressources de la comédie, ce qu'il fera souvent, et généralement très bien, dans les fécondes années qui vont suivre... Pour notre plaisir.
