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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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10 septembre 2017 7 10 /09 /septembre /2017 14:16

Trois éléments vont présider à l'existence de ce film: d'une part, Tati voit bien que sa bête noire, le progrès, est en train de gagner, et que la déshumanisation qui l'amusait en 1958, qui gagnait du terrain en 1966, est désormais accomplie. Bref, il y a des machines partout, et elles prennent toute la place! Ensuite, le metteur en scène a besoin de se refaire, parce que son film Playtime l'a mis sur la paille, et pour de bon. Ensuite, il serait temps, pense-t-il, que ce M. Hulot passe la main, prenne sa retraite. Il n'en peut plus de M. Hulot...

Et ça se voit, car contrairement à son voeu, Tati ne parvient pas à se débarrasser du personnage: commercialement, il se doute que Trafic ne sera pas viable si le public ne peut pas au moins retrouver son personnage fétiche, le dernier lien du metteur en scène avec un public qui l'a déserté, effarouché par son étrange film/jeu de piste Playtime.

La firme Altra, une entreprise de modeste taille, est très fière de participer à une rencontre internationale, un salon de l'auto à Amsterdam. Ils vont y présenter un modèle révolutionnaire de camionnette-tente, qu'ils ont baptisé "Camping-car", et toute la troupe se prépare: une voiture amène le décor du stand, un camion apporte le "camping-car", et enfin la "Public-relations" du groupe, une jeune Américaine flanquée d'un tout petit chien, voyage dans une minuscule voiture décapotable. La première voiture arrive à temps dans la capitale Néerlandaise, et installe le décor, mais... les autres n'arriveront jamais à temps. 

Notons que le dessinateur des plans, qui accompagne le modèle à l'intérieur du camion, n'est autre que M. Hulot...

A côté de ces péripéties, on a un certain nombre de fils rouges, car on sait que Tati, qu'on accuse souvent à tort de ne pas structurer ses films, a un penchant pour ce genre de progression parallèle: le petit chien, en lui-même, est un fil rouge, car on voit bien qu'il est partagé entre suivre sa maîtresse, et vivre sa propre vie! la jeune Américaine est intéressante à suivre aussi, car bien qu'elle ait une voiture absolument minuscule, elle change de toilette environ une dizaine de fois, et vit littéralement dans son véhicule avec lequel d'ailleurs elle se faufile partout. Enfin, durant tout ce temps, on assiste par endroits au triomphe absolu du progrès, à travers les postes de télévision qui sont en marche durant le film, et retransmettent le direct du premier contact humain avec la lune. Donc à la fin du film,on pourra toujours dire que c'est la faute à Neil Armstrong, et pas à M. Hulot, parce que les employés d'Altra, passionnés par l'émission, laissent filer le temps...

Mais on verra quand même le "salon" d'Amsterdam: il est lui aussi un fil rouge et nous rappelle un peu, par son accumulation de voitures et de gens, parce qu'il est souvent filmé en contre-plongée, l'univers de Playtime. Tati s'amuse comme lui seul le faisait: il filme de très loin les préparatifs de techniciens (tous en imperméable beige, tiens!) qui placent des fils pour délimiter les stands, et se trouvent à interpréter un étrange ballet en levant méticuleusement les pieds pour passer d'un stand à l'autre; il nous montre avec bonheur les curieuses musiques interprétées dans le salon de l'auto par les visiteurs qui ouvrent et referment portières et coffres; et il insiste sur son thème favori, en nous montrant que le décor du stand Altra est inspiré par le camping et la vie au grand air: c'est donc un faux paysage de forêt, avec un magnétophone qui gazouille. Ce qui n'empêchera pas le patron et le seul technicien qui sera là à temps de se perdre "dans les bois"!

Le reste est dévolu au voyage, aux avaries, aux accidents, aux passages en force à la douane, aux réparations chez les garagistes de plusieurs pays. Comme d'habitude chez Tati on parle, on parle, mais tout le monde s'en fout et personne ne s'écoute... Mais les gags visuels inspirés par le monde de l'automobile sont très nombreux: de la vision d'un concerto pour doigts dans le nez, à un carambolage qui ne fera heureusement aucune victime, mais se résout en cascades légèrement surréalistes (Avec la fameuse VW "Coccinelle" rouge qui "poursuit" une roue comme pour la dévorer, une des séquences les plus connues du film): on ne manque pas de gags ni d'occasion de rire dans le film...

...Mais le rire se grippe. Tati/Hulot est vieux, encore plus à part que d'habitude. Il se fait virer à la fin du film, oui mais pourquoi? Il n'est pas plus responsable qu'un autre. D'ailleurs il fait bien peu: dans son film, Tati montre Hulot qui arrive le plus souvent après la bataille, s'agite en vain, et au final n'a plus aucune incidence sur le monde qu'il croit habiter... La fin du film nous montre un paysage de voitures, sous la pluie, dans lequel quelques rares humains se fraient un chemin: on les voit bien, ils portent tous des parapluies noirs. 

Au moment de prendre sa retraite, au moins Hulot a une satisfaction: contrairement à tout ce qui s'est passé auparavant dans sa carrière, il a, semble-t-il, conquis la jeune personne qui a voyagé avec lui. Comment? 

Mystère... Mais soyons heureux pour lui.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati