
Mal-aimé de la saga Alien, et pas forcément apprécié, ni même parfois connu, des fans de Jeunet, ce film sensé plus ou mettre fin au cycle (Comme le précédent, Alien3) est en réalité situé au confluent de trois univers. Il ne peut être pris que comme une rencontre, donc, entre d'une part l'univers d'Alien (Ripley, les "Xénomorphes", l'ombre de Weyland-Yutani), d'autre part les thèmes chers au scénariste Joss Whedon (Buffy the vampire slayer, Firefly, Angel, Dollhouse, dont le péché mignon est de questionner la féminité dans un contexte de science fiction ultra-référencée), et enfin le monde de Jean-Pierre Jeunet, fait de bricolage, d'une efficacité narrative se reposant sur un enchaînement logique d'événements, et bien sûr son excentricité visuelle...
Rappelons l'histoire, tout d'abord: sur un vaisseau spatial appartenant à un conglomérat terrien, en collaboration avec l'armée, on attend une cargaison particulière. Des scientifiques présents sur le vaisseau ont réussi, à partir de prélèvements effectués avant la mort de Ripley (Dans Alien3), à cloner cette dernière, interprétée une fois de plus par Sigourney Weaver, évidemment. Après 8 tentatives, ils ont obtenu de la "ressusciter', elle est l'alien qui est en gestation dans son abdomen. L'alien a été 'extrait' de façon chirurgicale, ce qui était le but de la manoeuvre, mais contre toute attente, Ripley a survécu... Un médecin (Brad Dourif) a donc décidé de la garder en vie, ce qui n'était pas prévu au départ, pour voir...
La cargaison attendue, donc, est un chargement d'humains frais, en hibernation: quand la "reine" Alien va être opérationnelle, elle ne manquera pas de pondre, et il faudra, pour chaque oeuf, un humain prêt à devenir l'hôte d'un petit. La cargaison en question est amenée par des commerçants d'un genre particulier, à la fois convoyeurs et mercenaires, ils sont des spécialistes des jobs difficiles, dangereux, qui dépassent allègrement les limites de la légalité. Ils sont 6: Elgyn, le capitaine du vaisseau (Michael Wincott), sa compagne et mercenaire Hillard (Kim Flowers), Christie, rompu au maniement des armes (Gary Dourdan), le grand costaud Johner (Ron Perlman), gros bras, gros flingue et petite tête, Vriess (Dominique Pinon), qui se déplace en fauteuil roulant, ce qui ne l'empêche ni d'être efficace, ni d'être dur à cuire, et enfin la petite nouvelle, Call (Winona Ryder). Autant le dire tout de suite, c'est un robot, nouvelle génération, ceux qui sont créés et maintenus par des robots. Et elle est sacrément militante: elle s'est introduite sur le vaisseau-cargo dans le but d'infiltrer la mission de recréation des aliens, car elle a une mission: protéger les humains contre leurs mauvais instincts...
Trois choses vont donc se passer: d'une part, quand on manipule des aliens, ça finit toujours de la même façon. Ensuite, Call va tenter d'intervenir, simultanément à l'évasion des aliens, qui échappent à leurs gardiens et se retrouvent en liberté totale dans le grand vaisseau. Et Ripey, qui est rappelons le un clone issu de la résurrection d'une Ripley AVEC une reine alien à l'intérieur, est, pour le moins, imprévisible! Lors de la pagaille monumentale qui s'ensuit, elle s'allie avec les "commerçants"... Mais jusqu'où?
"Pagaille", disais-je: c'est le maître-mot. Depuis Alien (Ridley Scott, 1979), on est habitué à la montée progressive d'un suspense de plus en plus étouffant. Mais ce qu'on a ici, c'est plus l'annonce d'un catastrophe qui se produit trop tôt, suivie d'une longue, mais alors logue agonie du film. On aimait l'alternance, d'un film à l'autre, entre une invasion d'un vaisseau, ou d'une planète (Alien3, David Fincher, 1991) par un seul individu, et la plongée des humains dans un nid, un nuage, une marée, un océan d'aliens (Aliens, James Cameron, 1985)... Mais ici, ça tourne au trop-plein: trop de bestioles, trop de possibilités, et... trop de gore, ça oui. Ca tourne même au ridicule absolu quand la reine, qui provient du même mélange que le clone de Ripley, accouche littéralement d'un être mi-humain, mi-alien, qui est d'une laideur inconfortable, et qui va rencontrer l'une des fins les plus dégueulasses qui puissent être. Voyez le film avec une cuvette à cet égard... Donc, si le film offre à Ripley une "fin" plus décente que celle que lui avait donnée Fincher, il tend à gâcher l'héritage en permanence.
La faute à qui? On a envie d'utiliser le dicton anglais "Too many cooks in the kitchen spoil the broth", dont vous irez si vous ne la connaissez pas chercher la signification sur internet, autant que ça serve ces petites machines. Comme tous les autres films de la saga, il y a eu du monde sur ce bébé-là, et... y-avait-il un capitaine? On sait qu'il y en avait un sur tous les autres films, y compris quand la Fox et Brandywine Productions mettaient des bâtons dans les roues de David Fincher. On sait aussi que sur un plateau de Jean-Pierre Jeunet, il est le seul maître à bord, engagé à 300% sur son film. Mais... le langage, peut-être? la timidité face à la tâche titanesque? Jeunet n'est pas à son aise, ni dans le genre, qu'il connaît bien en tant que fan, ni dans les règles imposées, qui sont habituellement imposées... par lui. Ici, le cahier des charges n'est absolument pas de sa responsabilité, et ça se sent. Alors on retrouve certains aspects de son oeuvre, des inventions inattendues comme le cube de whisky, des bricoleurs de génie comme la troupe de mercenaires, ou encore quelques moments qui reposent sur un enchaînement d'événements, mais... c'est assez peu. Reste son efficacité? Oui, mais elle est mise à mal par le souci du langage, et un script dont les dialogues possèdent peu de subtilité ('Die, you motherfucker'). Au final, on sait que c'est du Jeunet, tout de même. Il y a Dominique Pinon!
Et Joss Whedon dans tout ça? Même si ça ne sauve pas le film, on constate que dans ce script probablement conçu au début des années 90 par le jeune aspirant scénariste, on retrouve beaucoup, mais alors beaucoup de ses thèmes. La prépondérance des femmes, avec ici quatre figures de féminité, de la maternité carnassière (la Reine), à l'amazone fragile (La scène durant laquelle Hillard perd son amant est touchante), en passant par les deux bizarres: Call, le robot que certains mercenaires auraient bien mise dans leur lit, et bien sûr la Ripley-Alien, qui est au centre de toutes les interrogations. Elle a été au bout de l'enfer, et en est revenue, comme Buffy, ou Darla (Dans la série Angel). Et comme elles, elle est revenue... différente. une constante, là encore des personnages féminins de Whedon: Fred/Illyria, Cordelia Chase, Echo, Skye, River Tam... Mais ce qui frappe aujourd'hui, c'est à quel point Whedon avait en tête, des années avant, une équipée à la Firefly: un équipage de bras cassés revenus de tout, effectuant des livraisons légales ou illégales, dans un vaisseau cassé de partout et rafistolé, et tous rompus au maniement des armes. Bon, admettons quand même que Firefly est bien, bien meilleur, et de très loin, que ce film dans lequel une fois de plus un(e) héros/héroïne questionne son humanité, film sympathique, mais...
...raté.