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29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 11:18

Delicatessen s'est trouvé par hasard être le premier long métrage de Jean-Pierre Jeunet, alors associé à Marc Caro. Dès leur moyen métrage de 1981, Le bunker de la dernière rafale ils ont manifesté dans leur collaboration un coté sombre, vaguement cyberpunk pour reprendre un mot à la mode, qui alliait modernité froide et un certain sens du clin d'oeil visuel à un passé plus ou moins lointain. Tout l'univers du film qu'ils souhaitaient ardemment faire, un cauchemar d'enfant monté en épingle, et qui fera finalement l'objet de leur deuxième long métrage, La cité des enfants perdus. Si ce dernier reste un film attachant, il me semble être le plus "Caroien" des deux premiers, tant Delicatessen annonce et préfigure deux films ultérieurs, dont un au moins a bénéficié d'une spectaculaire couverture médiatique, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. L'autre, Micmacs à Tire-Larigot, n'a pas fait autant que ses prédécesseurs le plein de spectateurs; il est sans doute moins bon d'une part, et plus marqué encore qu'Amélie et Delicatessen par le côté bricolo de Jeunet, cette fois non seulement repris via des personnages (Les adeptes du bricolage et de la récupération sont les héros du film, et en font une religion, autant qu'une question pratique), mais aussi affirmé haut et fort après le luxe de moyens (d'ailleurs utilisés à bon escient du début à la fin) d'Un long dimanche de fiançailles...

Pour ce film de 1991, qui fit justement sensation, Jeunet associé à Caro (crédité à la direction artistique) recycle le réalisme poétique cher à Carné, une certaine tendance du cinéma Français, mais au service d'un scénario excentrique, dans lequel l'anticipation crapoteuse n'est qu'un joyeux prétexte à mettre en scène de savoureux moments décalés et des dialogues uniques, toujours justes, car limités à l'essentiel. Dans une banlieue du futur (Mais qui ressemble à s'y méprendre à celle des années 50) Louison (Dominique Pinon), clown sans emploi, trouve une place d'homme à tout faire dans une boucherie isolée, dont le patron (Jean-Claude Dreyfus) est aussi le propriétaire de l'immeuble, leader inévitable puisque en ces temps de famine, il a trouvé le moyen de nourrir les autres: la viande humaine. Ses locataires l'aident dans son entreprise... Chacun d'entre eux (On reconnaît Rufus, ou Ticky Holgado, qui vont rester dans l'univers du metteur en scène) sait à quoi s'en tenir, et comme ils veulent de la viande, ils sont plus ou moins complices des actes du boucher. Et à travers cet immeuble, c'est toute une société immuable qui est passée au crible, avec ses strates, des gens qui se jalousent, des gens qui s'entraident, et d'autres... qui se mangent. Au sommet de la pyramide: le boucher. Mais si le danger vient des "Troglodistes", des déviants (Ils ne mangent que des légumes) qui se livrent parfois à des actes de pillage ou autres actions d'éclats, le danger peut venir de l'intérieur aussi pour le boucher. sa fille (Marie-Laure Dougnac) est sensible, et bien décidée à empêcher son père de continuer à faire son chantage au cannibalisme...

Non seulement le scénario est très structuré, mais il permet à tout un tas de petits univers de se mettre en place, souvent allié à cette poésie un peu limite qui fait le charme du film: la famille Tapioca, la famille Interligator, les frères Kube, mademoiselle Plusse et sa petite vertu, le facteur qui renvoie à l'imagerie de la résistance comme de la Gestapo, etc.. tout un monde auto-codé immédiatement lisible se met en place, au milieu duquel Louison est interprété avec génie par l'éternel acteur fétiche de Jean-Pierre Jeunet, Dominique Pinon. Le nombre de scènes traversées par la grâce est impressionnant, et certaines répliques sont restées dans les annales...

Et la mise en scène est pensée, fouillée dans ses moindres détails, chaque mot est pesé, chaque geste justifié. On renvoie donc encore plus loin qu'au seul carné, à toute une frange visuelle du cinéma. Jeunet dirait Tati, mais je ne m'arrêterais pas en si bon chemin. Ladislas Starevitch et ses créatures animées (De la récupération là aussi) ne sont pas loin, et le sens de l'enchaînement et du bricolage, alliés à un style sur de lui et techniquement accompli, je n'hésite pas à placer Jeunet dans la filiation directe de Buster Keaton et Harold Lloyd...

Du reste, combien de films Français tiennent par leurs seuls gags, qui ne sont pas verbaux, mais bien visuels? Et puis combien de films réussissent à faire un gag génial rien qu'avec la phrase "c'est beau la vie", ou avec une fameuse "boîte à vache", qui fait meuh?

Voilà, si tout ça n'est pas un univers, je veux bien finir ma vie en vendeur de "détecteur de connerie", un objet salement inutile par les temps qui courent.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet